Belle Catherine - Бенцони Жюльетта - Страница 38
- Предыдущая
- 38/105
- Следующая
Au-dehors, le jour commencait a poindre. Le ciel, du cote de l'Orient, etait d'un gris sale. Debout pres de l'unique fenetre, un pied sur un tabouret, Martin Berlot, le senechal, regardait ses hotes. C'etait un homme petit et rond dont l'aspect etait celui d'un paysan aise. On ne pouvait pas lire grand-chose sur sa face placide dont le principal ornement etait un nez si bourgeonnant qu'il semblait multiplie par trois. Mais les yeux bruns avaient de la vivacite.
Le senechal ne parlait guere. Il preferait ecouter et, depuis que Catherine etait arrivee, il ne s'etait pas mele a la conversation. Mais, comme la jeune femme, poussee sans doute par sa fatigue, semblait hesiter sur le parti a prendre, souhaitant visiblement s'accorder un peu de repos, il murmura avec un regard au ciel moins noir :
— Si j'etais vous, noble dame, je partirais d'ici... et sur l'heure. Quand on saura que vous avez passe le pont, et on le saura avant qu'il soit longtemps, on enverra a votre poursuite. Ici... il ne sera guere possible de resister si monseigneur Gilles decide de vous reprendre de force.
— Pourtant, fit Catherine, il n'est pas venu reprendre Gauthier.
— Parce qu'il le croit mort et a toujours ignore qu'il etait ici. Personne ne l'a vu arriver. Mais vous, c'est different. Le garde du pont parlera. Et, cette fois, messire Jean ne pourra rien pour vous. Il faut fuir, Dame, pendant qu'il en est encore temps ! Ce n'est pas que je vous refuse asile, mais j'ai charge de ce village, de ce chateau et n'ai point les forces necessaires pour resister. Il faut que vous soyez loin quand les gens de Rais viendront me demander des comptes. Bien sur, vous etes lasses, vous et cette femme. C'est trop visible, mais c'est l'affaire d'un peu plus de deux lieues. En remontant la Loire, vous trouverez Chalonne, qui est terre de Mme la duchesse d'Anjou.
— La duchesse est en Provence et ne peut rien pour moi. En son absence, personne ne m'accueillera en Anjou.
Avec accablement, elle laissa tomber sa tete dans ses mains. Tout a l'heure, dans sa joie de fuir, elle avait oublie les menacantes paroles de Gilles, mais maintenant elles revenaient, ces paroles, dans toute leur dangereuse signification. Sur les terres du Roi, comme sur celles de Yolande sans doute, elle etait maintenant un gibier traque. Arnaud pourrissait dans les geoles de La Tremoille et le bras du tout-puissant seigneur pouvait l'atteindre, elle, chetive, a chaque pas qu'elle ferait dans ces regions.
— De toute facon, reprit Berlot dont le souffle s'ecourtait et qui regardait de plus en plus souvent vers la Loire, a Chalonne, vous vous rendrez aupres du prieur de Saint-Maurille. Il vous accueillera et vous trouverez chez lui le repos d'un moment. Vous devez bien savoir que terre d'eglise est terre d'asile.
— L'eglise, marmonna Gauthier entre ses dents... toujours l'eglise !
Mais Catherine, s'appuyant des deux mains a la table, se levait peniblement. Elle avait bien saisi le debut d'affolement dans la voix de Berlot. Le senechal avait peur. Il ne pensait qu'a une chose : il fallait que les hotes indesirables eussent disparu de son horizon quand paraitraient les hommes de Gilles afin qu'il put les laisser se livrer a une visite domiciliaire convaincante.
— C'est bon, fit-elle avec un soupir, nous partons. Reveille Sara, ami Gauthier, si toutefois tu y parviens.
Elle fit quelques pas dans la piece nue, alla, elle aussi, regarder le ciel qui s'eclairait maintenant avec une rapidite inquietante, puis s'etira pour chasser la lourdeur de ses membres. Cependant, Gauthier, qui ne parvenait pas a eveiller Sara, avait pris le parti de l'enlever purement et simplement et de la jeter sur son epaule. Il tourna vers Berlot son regard froid.
— As-tu un cheval pour moi ?
L'autre fit la grimace.
— Je n'en ai qu'un : le mien. Et je dois le garder... Monseigneur Gilles trouverait etrange...
— 11 y a des moments ou je me demande, repartit 'e Normand avec un pli meprisant au coin des levres, pourquoi tu ne passes pas la Loire. Dis-moi un peu de qui tu as le plus peur : de Gilles de Rais ou de la dame de Montjean qui deteste son gendre... a moins que ce ne soit de la dame de Craon ?
— Du Diable ! fit Berlot de mauvaise humeur. Mais je lui saurai gre le jour ou il t'emportera.
— Amen ! dit Gauthier qui commencait a se trouver des connaissances ecclesiastiques. En route, dame Catherine ! Le cheval de Sara semble assez solide pour nous porter tous les deux. D'ailleurs, dans l'etat ou elle est, la malheureuse serait bien incapable de se tenir en selle. Il faudrait lui taper la tete contre les murs pour l'eveiller.
Devant la porte du chatel, ils retrouverent Morgane et Rustaud que l'on avait nourris et abreuves. La petite jument hennit de plaisir a revoir sa maitresse et piaffa, impatiente de galoper. Avec d'infinies precautions, apres avoir installe Sara toujours endormie sur Rustaud, Gauthier aida Catherine a se mettre en selle, puis enfourcha a son tour sa monture.
Rustaud se comporta vaillamment et ne broncha pas sous le poids du geant.
— Je crois que ca ira, dit le Normand avec satisfaction.
Il emplit sa vaste poitrine d'une grande goulee d'air puis s'ecria joyeusement :
— Par les runes ! Je suis content de quitter ce maudit pays. Ou que nous allions, dame Catherine, nous n'y serons pas en plus mauvaise compagnie. En avant !
Un cri d'angoisse pousse par Berlot lui repondit :
— Les hommes de Rais ! Les voila ! Partez... mais partez donc !
En effet, le bac du passeur, charge de soldats, derivait au plein du courant. Une dizaine de cavaliers, qui avaient choisi de franchir le fleuve a la nage, les entouraient et Catherine, mordue par une terreur folle, reconnut les huques violettes du sire de Rais a leur tete... S'ils les avaient vus, ils etaient perdus, mais le senechal, vert de peur, hoquetait :
— Faites le tour par cette ruelle. Ils ne vous verront pas et vous gagnerez la campagne sans etre apercus. J'essayerai de les retenir autant que je pourrai.
— Si tu n'avais pas tellement peur pour ta peau, goguenarda Gauthier, je dirais que tu es un brave homme ! Adieu, Martin. On se reverra peut-etre un jour.
Mais deja Catherine avait talonne Morgane et s'engouffrait dans la ruelle en pente. Au risque de se rompre le cou, elle prit le galop aussitot. Les sabots de Morgane claquaient joyeusement sur la terre battue du chemin et, derriere elle, la jeune femme pouvait entendre le galop pesant de Rustaud. Bientot, ils furent dans un petit bois, hors de vue de Montjean.
Le chemin s'ecartait du bord de Loire et plongeait a travers les branches depouillees pour devenir une invraisemblable fondriere boueuse. Gauthier rejoignit Catherine et se mit a sa hauteur.
Je pensais, fit-il sans cesser de galoper. Si nous retournions a Orleans ? Maitre Jacques Boucher, bien certainement, vous accueillerait. Vous avez la des amis solides.
— En effet, dit Catherine, mais le tresorier Jacques Boucher est, avant tout, un solide, un fidele sujet du roi Charles.
C'est un homme rigide et droit comme une lame d'epee. Il ne resisterait pas, quelque amitie qu'il ait pour moi, a un ordre de son souverain. Or, si j'ai bien compris et meme si Jacques Boucher l'ignore, le Roi, c'est La Tremoille.
— Ou aller alors ? J'espere que vous ne songez pas a vous precipiter tete premiere, et dans l'etat ou vous etes, a Sully-sur-Loire ? Vous devez vivre, Madame, si vous voulez venir a bout de vos ennemis.
— Il m'importe peu de les vaincre ou non, repondit Catherine, les levres serrees. Mais il y a Arnaud... il y a mon enfant. Je pourrais retourner en Bourgogne ou j'ai des amis, ou je trouverais une surete relative, mais ce serait me separer d'Arnaud. Il faut que je reste sur les terres du roi Charles au risque de tomber aux mains de son favori. Il faut que quelqu'un nous accueille, nous cache et me permette d'atteindre d'une facon ou d'une autre ceux qui pourront efficacement nous aider : les compagnons d'armes de messire de Montsalvy, les capitaines du Roi qui, tous, haissent La Tremoille.
- Предыдущая
- 38/105
- Следующая