Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 45
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Vous ne voudriez pas me condamner pour la vie aux remords et aux mauvais songes ?
Pour toute reponse, Catherine se laissa glisser a genoux et baisa respectueusement l'anneau de l'archeveque. Une vague d'emotion parcourut le visage tanne de Fonseca. Il traca en l'air une rapide benediction puis, posant sa main sur la tete inclinee :
— Je ne sais ou vous allez au juste, ma fille, et je ne vous le demande pas. Mais une intuition me dit que vous allez au-devant du peril. Songez, si les epreuves qui vous attendent etaient trop penibles, que vous avez ici un ami, une maison. L'un et l'autre vous accueilleront toujours paternellement, conclut-il en se mouchant bruyamment pour cacher son emotion.
Et, dans un grand bruit de brocarts pourpres, Sa Grandeur l'archeveque de Seville s'eloigna, annoncant qu'il allait donner des ordres et interdisant a la jeune femme de se meler de quoi que ce soit pour son depart... Il lui donnait seulement rendez-vous deux heures plus tard, pour le repas.
Il avait a peine disparu que Catherine se precipitait au donjon. Elle avait hate de revoir Gauthier, tout en eprouvant un peu de deception de ce qu'il ne se fut pas mis encore a sa recherche. Peut-etre dormait-il toujours ? Relevant sa robe a deux mains, elle escalada le penible escalier a vive allure, poussa la porte qui n'etait pas fermee et se trouva en face de son ami. Il etait assis sur le pied du lit, la tete dans les mains, le visage cache par les paumes et il etait impossible de savoir s'il reflechissait, s'il dormait ou si, d'aventure, il ne pleurait pas.
Son attitude decelait tant d'accablement que Catherine se sentit toute decontenancee. Elle esperait retrouver Gauthier heureux, redevenu pleinement lui-meme et tout a la joie qu'avait du lui laisser la nuit passee. Or, apparemment, il n'en etait rien. Elle s'attendait a tout, sauf a une attitude semblable...
Vivement, elle s'agenouilla aupres du geant, saisit entre les siennes les deux grandes mains. Elles etaient humides.
— Gauthier ! gemit-elle bouleversee. Qu'est-ce que tu as ?
Il leva vers elle un visage decompose par les larmes et, dans les yeux gris, il y avait a la fois de l'incredulite et du desespoir. Il la regardait comme si elle n'avait pas ete tout a fait reelle.
— Mon Dieu ! balbutia-t-elle, prete a pleurer a son tour, mais tu me fais peur !
— Ainsi, murmura-t-il lentement, ce n'etait pas un reve ! C'est bien vous... je n'ai pas reve !
— Quoi ?
— Cette nuit... cette nuit inimaginable ! Je n'ai pas ete victime de mon delire ! Il s'est passe tant de choses etranges dans ma tete, depuis si longtemps... tant de choses vagues ! J'ai fini par ne plus savoir ce qui etait reel ou ce qui etait songe-creux.
Catherine poussa un imperceptible soupir de soulagement. Elle avait craint que le mal ne fut revenu. Calmement, doucement, elle dit, avec beaucoup de gentillesse :
— Non. Cette nuit, tu es vraiment redevenu toi- meme. Et... tu es aussi devenu mon amant, ajouta-t-elle nettement.
Il la saisit aux epaules, scrutant avidement le joli visage qui le contemplait.
— Pourquoi ? Mais pourquoi, tout a coup, etes-vous venue dans mes bras ? Que s'est-il passe ? Comment en sommes-nous arrives la ?
Je vous avais laissee a Montsalvy et je vous retrouve... mais, au fait, ou sommes- nous ?
— A Coca, en Castille. Chez l'archeveque de Seville, don Alonso de Fonseca.
Il repeta, comme dans un songe :
— A Coca... en Castille ! Comment y sommes-nous arrives ? Je m'y perds !
— De quoi te souviens-tu au juste ?
Mes derniers souvenirs sont ceux d'une bataille. Les bandits de la foret d'Oca qui me tenaient prisonnier ont ete attaques par les alguazils. Les soldats ont cru que j'etais aussi un brigand. Il a bien fallu que je me defende. J'ai ete blesse. Il y a eu un coup terrible. J'ai cru que ma tete eclatait. Et puis... plus rien ! Si... pourtant... Je me souviens d'avoir eu soif, d'avoir eu froid... Les seuls souvenirs qui me restent sont ceux d'un vent violent, incessant...
« La cage, », pensa Catherine qui se garda bien d'evoquer l'affreux instrument de torture. Mais il fallait tout de meme aider Gauthier a retrouver la pleine possession de sa memoire.
— Ces bandits d'Oca, dit-elle, comment etais-tu tombe entre leurs mains ? Un menestrel florentin que tu avais rencontre sur le chemin de Roncevaux m'a dit t'avoir vu tomber sous les coups des montagnards navarrais. Il les a vus jeter ton corps dans un ravin sans fond... et, pourquoi te le cacher, je te croyais mort !
— Je l'ai cru aussi. J'etais blesse. Ils m'etaient tombes dessus comme un essaim de guepes. Ils m'ont ensuite depouille de mes vetements et jete au fond du ravin. J'aurais du, normalement, m'y briser les reins, mais les dieux m'ont protege. Un arbrisseau a arrete ma chute et, quand le froid m'a ranime, je me suis retrouve accroche a ses branches, en fort mauvaise posture cependant. Je grelottais, sans le moindre vetement, et la nuit tombait. Je me sentais faible comme un enfant ; pourtant, je voulais vivre. Malgre le sang perdu, je reflechissais. Remonter vers le sentier ? C'etait dangereux : d'abord a cause de ma faiblesse qui rendait l'escalade presque impossible, ensuite a cause de mes agresseurs. Qui pouvait dire s'ils n'etaient pas toujours postes sur la route, guettant quelque voyageur surpris par l'obscurite prochaine ? Cette fois ils m'acheveraient avant de me rejeter au ravin...
« J'en etais la de mes reflexions quand, dans le val au-dessous de moi, je vis des feux s'allumer. Cela me rendit courage. Pensant qu'il s'agissait sans doute de bergers ou de bucherons, je me mis a descendre, lentement, m'accrochant aux rochers et aux ronces. Vous dire combien de temps dura cette descente, j'en serais tout a fait incapable ! Bientot, je n'eus plus pour me guider que les flammes rouges. Comment suis-je arrive en bas sans me rompre tous les os, c'est encore un mystere pour moi...
— Et, fit Catherine, les bergers t'ont recueilli, soigne ?
— Recueilli, oui, soigne, oui encore... mais ce n'etaient pas des bergers !
— Quoi d'autre ?
— Les hommes d'un seigneur-pillard qui hante la region ; le seigneur Vivien d'Aigrement.
Catherine fronca les sourcils. Ce nom-la, elle l'avait entendu prononcer, et avec quelle terreur, par les religieux de Roncevaux comme par les paysans de Saint- Jean-Pied-de-Port.
— Comment t'en es-tu tire ?
Je ne m'en suis pas tire, justement. Ce Vivien d'Aigrement est un fauve, l'un de ces grands rapaces aux serres toujours sanglantes II m'a recueilli uniquement parce que je lui semblais posseder une valeur marchande. On m'a soigne, certes, mais aussi charge de chaines quand j'ai eu la force de les supporter, conduit ainsi jusqu'a Pampelune ou le fauve m'a vendu comme esclave, tres cher, croyez-moi ! Je vaux un nombre respectable d'ecus, ajouta Gauthier avec une amere ironie.
C'est l'eveque de la ville qui m'a achete pour veiller a son chenil. Les molosses y etaient feroces, moins cependant que leur maitre. Le jour ou un jeune garcon vivant leur a servi de repas, je me suis enfui, non sans peine. J'etais talonne par la peur d'etre pris car je savais ce qui alors m'attendrait : mon sort aurait ete le meme que celui de ce malheureux enfant. Mais je ne connaissais pas le pays ni sa langue maudite. Un homme que j'ai rencontre et qui me comprenait a consomme ma perte : c'etait l'un des bandits d'Oca. Il m'a conduit parmi ses freres. Je n'avais fait que changer de chaines... et de chenil.
Une fois encore, je tirais des plans pour fuir quand les alguazils sont arrives. A cause de ma taille, sans doute, ils m'ont pris pour le chef.
D'ailleurs, comment aurais-je pu comprendre ce qu'ils disaient? J'ai ete assomme, capture... Vous connaissez sans doute la suite mieux que moi.
— Certes, je la connais...
Doucement, Catherine passa une main caressante sur la joue rugueuse du Normand.
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