Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 46
- Предыдущая
- 46/101
- Следующая
— Tu as terriblement souffert, Gauthier, mais, vois- tu, j'ai toujours pense que la mort ne pouvait rien contre toi : tu es indestructible... comme la terre elle-meme !
— La terre peut se convulser, s'effondrer, et moi je ne suis qu'un homme comme les autres !
Mais, comme la main de Catherine s'attardait sur son visage, il la detacha doucement, puis :
— A vous, maintenant, dame Catherine ! Si vous voulez que je comprenne, il faut tout me dire... tout, vous entendez ?
Elle se recula, les yeux soudain baisses, puis, se relevant, alla s'asseoir sur un banc pres de la fenetre. Aussi bien, elle n'avait jamais pense eviter une sincere explication. Cette nuit meme, au plein de leur folie sensuelle, ne lui avait-elle pas promis : « Demain, je te dirai tout
» ? — Tu sauras tout ! Je n'avais pas l'intention de te cacher le moindre fait. Donc, quand le menestrel florentin est venu, chez nous, m'annoncer qu'il t'avait vu perir...
Le recit dura longtemps. Catherine parlait lentement, reflechissant sans cesse a ce qu'elle allait dire pour ne rien oublier. Elle ne lui fit grace d'aucun detail. Tout y passa : la fuite de Montsalvy, le pelerinage a la Vierge du Puy, le depart avec les pelerins, la rencontre avec Ermengarde de Chateauvillain et Josse Rallard, le vol des rubis de sainte Foy, l'arrivee de Jean Van Eyck et la lettre du duc de Bourgogne, les confidences haineuses de Fortunat, la fuite de Roncevaux avec Josse, enfin son sauvetage, a lui Gauthier, dans Burgos ivre de sang et leur arrivee commune dans le chateau rouge de l'archeveque Fonseca. Pas une fois Gauthier ne l'interrompit. Pas un instant non plus, son regard attentif ne la quitta. On aurait dit qu'il cherchait a s'assurer que les paroles prononcees etaient bien en accord avec la pensee de la jeune femme. Lorsqu'elle eut fini, seulement, il poussa un profond soupir, et, se levant, alla jusqu'a la fenetre, posant un pied sur le banc d'encoignure qui en garnissait le renfoncement.
— Ainsi, dit-il lentement, messire Arnaud est prisonnier des Maures !
Instantanement, la colere jalouse de Catherine l'envahit comme une vague amere.
— Un prisonnier de bonne volonte ! Ne t'ai-je pas dit qu'il avait suivi cette femme de son plein gre ? Ne t'ai-je pas rapporte les paroles de Fortunat ? L'Infidele est plus belle que le jour, a-t-il dit, et mon epoux s'en est epris au premier regard.
— Et vous avez cru ca ? Vous, une femme intelligente ? Rappelez-vous donc l'attachement fanatique de Fortunat pour son maitre !
Souvenez-vous de ces visites que, chaque semaine, il rendait a la maladrerie de Calves, et cela par tous les temps ! Et vous ne savez pas, puisque vous n'y etiez pas, ce que furent sa rage, sa fureur quand le seigneur de Breze vint a Montsalvy, quand chacun, la-bas, crut que vous alliez reprendre epoux ! Jamais je n'ai entendu cris de colere plus haineux, serments plus virulents de vous faire payer cette trahison. Fortunat vous haissait, dame Catherine. Il aurait dit n'importe quoi pour vous blesser !
— Il n'aurait pas menti a ce point ! Est-ce qu'il n'a pas jure, tu m'entends, jure sur le salut de son ame qu'a cette heure-la Arnaud connaissait l'amour dans le palais de sa princesse ! Qui donc, pour assouvir une simple haine, accepterait de compromettre si gravement son salut eternel ?
— Plus de gens que vous ne pensez ! En tout cas, il est possible que messire Arnaud connaisse l'amour la- bas. Mais qui vous assure qu'il y reponde ? D'ailleurs...
Et Gauthier, se retournant tout d'une piece, fit face a Catherine, la dominant de toute sa taille.
Vous ne seriez pas partie, dame Catherine, vous n'auriez pas entrepris ce voyage insense si vous n'esperiez encore. Vous seriez rentree a Montsalvy, peut-etre a la cour du roi Charles ou le seigneur de Breze vous eut ouvert tout grands ses bras... a moins que vous ne vous fussiez souvenue de l'amour du Grand Duc d'Occident. Une femme comme vous ne s'avoue jamais vaincue, je le sais mieux que quiconque. Quant a croire que messire Arnaud est a jamais perdu pour vous, a d'autres, dame Catherine ! Vous ne me ferez jamais avaler cela
! — Es-tu bien certain que je ne veuille pas seulement lui reprocher sa trahison ? Jouir de sa confusion en le voyant, lui, un chretien, un capitaine du Roi, roucouler aux pieds d'une moricaude, et qu'ensuite...
Brusquement, Gauthier devint pourpre de colere.
— Ne me prenez pas pour un imbecile, dame Catherine ! Vous iriez la-bas uniquement pour faire une scene a votre epoux ?
— Et pourquoi non ?
Dressee sur la pointe des pieds, les bras croises, sa petite tete bien droite, elle avait l'air d'un jeune coq en colere. Pour la premiere fois, elle et celui qui, la nuit precedente, l'avait si passionnement possedee s'affrontaient.
— Parce que ce n'est pas vrai. Parce que vous n'avez jamais aime que lui, que vous dessechez de rage de le savoir aux mains d'une autre et que vous n'aurez ni treve ni repos, dussiez-vous endurer les pires supplices, que vous ne l'ayez rejoint... et reconquis !
— Pour lui faire payer sa trahison !
Et de quel droit ? Qui donc avait trahi le premier ? Voulez-vous que nous reparlions du sire de Breze ? Pour employer, en parlant de votre beaute, des termes aussi chaleureux, il devait la bien connaitre. Si vous ne lui aviez donne aucun gage, il n'aurait pas suppose que vous l'epouseriez ? Et lui, le proscrit, le reclus de Calves, quelles tortures n'a-t-il pas endurees en apprenant cette belle nouvelle ? Car Fortunat ne lui a rien cache, vous le saviez. Si, moi, j'avais ete a sa place, je me serais enfui, j'aurais ete vous arracher des bras de votre beau chevalier et je vous aurais tuee de mes propres mains avant de me faire justice !
— Peut-etre parce que tu m'aimes ! fit Catherine amerement. Lui ne raisonnait pas comme toi...
— Parce qu'il vous aimait plus encore ! Plus que lui-meme puisqu'il avait fait bon marche de sa souffrance a lui pour vous laisser vivre un nouveau bonheur ! Croyez-moi, les flammes de jalousie qui vous brulent ne sont sans doute rien aupres de celles qui ont du le devorer, lui, dans sa solitude affreuse ! Pensez- vous que je puisse oublier la derniere image que j'ai eue de lui ? de cet homme crucifie qui s'en allait dans le soleil, au glas des cloches, aux pleurs des cornemuses, avec, dans les mains, un autre soleil ?
A l'evocation brutale de la plus cruelle journee de sa vie, Catherine ferma les paupieres ou sourdaient les larmes, vacilla.
— Tais-toi ! supplia-t-elle. Tais-toi, par pitie !
— Alors, fit-il d'un ton radouci, cessez de vouloir me leurrer, cessez de vous leurrer vous-meme. Pourquoi donc essayez-vous de nous mentir a tous les deux ? A cause de cette, nuit ?
Elle rouvrit soudain des yeux etincelants.
— Peut-etre a cause de cette nuit, en effet ! Peut-etre n'ai-je plus envie d'aller i. Grenade !
— Voila des ours, sans doute, fit Gauthier avec lassitude, que vous luttez ainsi contre vous-meme, tantot poussee par la jalousie vers la ville ou respire votre epoux, tantot prise de la tentation d'abandonner, de retourner vers votre enfant, vers le calme et la securite d'une vie normale. Ce qui s'est passe cette nuit n'a rien ajoute.
-— Pourquoi dis-tu cela ?
— Parce que je le sais. Cette nuit, vous m'avez fait un present merveilleux... inespere, mais vous l'avez fait pour deux raisons : par pitie, d'abord.
— Gauthier ! protesta Catherine.
Mais si ! Par pitie d'abord, parce que vous vouliez a tout prix me guerir, mais aussi par depit. C'etait une maniere de vengeance que vous exerciez, et aussi une facon de rendre moins cruelles les images qui hantent vos nuits sans sommeil !
— Non ! gemit Catherine, des larmes dans la voix. Ce n'est pas cela... ce n'est pas seulement cela, corrigea-t-elle, cette nuit, j'ai ete heureuse, moi aussi, je te le jure !
Un sourire d'une grande douceur vint detendre le visage crispe du Normand.
- Предыдущая
- 46/101
- Следующая