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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 44


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Quant a ce qu'allaient etre les jours a venir, ce qu'allaient apporter de changement dans son existence les relations telles qu'elle venait de les etablir avec Gauthier, Catherine se refusait a y songer. Pas maintenant... Plus tard... Demain !... Pour le moment, elle etait si lasse, si lasse !... Elle avait tellement envie de dormir ! Ses paupieres s'abaisserent et elle tomba dans un bienheureux aneantissement.

La course legere d'une main sur son ventre, sur ses cuisses, l'eveilla en sursaut. Il etait encore tres tot. Le jour bleuissait a peine a la fenetre de sa chambre. Le regard embrume de Catherine decouvrit soudain une silhouette assise pres d'elle sur le lit, mais elle ne reconnut pas tout de suite son visiteur tant elle etait ensommeillee. La fraicheur de l'aube et le lent passage de la main qui continuait a la caresser lui rendirent brusquement conscience. Les draps et les couvertures avaient ete rejetes au pied du lit, decouvrant totalement la jeune femme frissonnante. Au meme moment, la silhouette bougea, se pencha sur elle. Les yeux agrandis d'horreur, Catherine vit enfin que c'etait Tomas de Torquemada, mais elle le reconnut a peine tant il avait l'aspect d'un demon. Les yeux exorbites, il faisait aller et venir ses machoires, grincant des dents, une mousse legere au coin des levres... Epouvantee, elle voulut crier. Une main brutale se plaqua sur sa bouche. Elle tenta de la repousser, en vain. Un ongle lui griffa un sein, un violent coup de genou forca ses jambes a se desserrer tandis qu'un corps nu, humide de sueur froide et sentant l'aigre, s'abattait sur elle.

Soulevee de degout, elle se tordit sous le garcon. Il la gifla si violemment qu'elle gemit. Il ricana tout bas :

— Pas tant d'histoires, trainee !... Je t'ai vue, cette nuit, dans la tour, avec ton valet !... Ah, tu t'en donnais a c?ur joie, drolesse ! Les hommes, ca te connait, hein, ribaude ? Allons, montre-moi ce que tu sais faire !... C'est bien mon tour... Embrasse-moi ! Catin !...

Il entrecoupait ses insultes de baisers humides qui soulevaient le c?ur de Catherine et de sourds geignements presque aussi repugnants. Il tenait la jeune femme sous une poigne nerveuse, aussi dure que le fer, mais cherchait frenetiquement a posseder sa victime sans y parvenir.

Sous la main osseuse qui ecrasait ses levres quand Tomas ne les mordait pas Catherine se sentait etouffer. Elle ne pensait meme plus, uniquement tendue par l'instinct qui la poussait a rejeter cette horreur moite, ce cauchemar nauseabond. Le demon de luxure qui possedait le garcon etait le pire qu'elle eut jamais connu. Meme Gilles de Rais n'etait pas repugnant a ce point.

Un instant, la main pesa moins durement sur sa bouche. Elle en profita, mordit si sauvagement que Tomas cria, retira instinctivement sa main. Alors, elle hurla, de toutes ses forces, de tout son instinct d'animal en peril...Il se mit a la rouer de coups sans parvenir a la faire taire, hurlant maintenant aussi fort qu'elle, emporte par une veritable frenesie de haine. A demi assommee, Catherine entendit a peine les coups violents que l'on frappait a sa porte. Il y eut le fracas du bois craquant, le vacarme des ais et des ferrures s'ecroulant sur les dalles.

Elle vit encore Josse qui surgissait dans le premier rayon du soleil, laissant tomber le madrier qui lui avait servi a enfoncer la porte que Tomas avait du fermer a clef. L'ancien truand se rua sur le lit, en arracha Tomas qu'il se mit a corriger d'importance. Se cachant hativement sous les courtines du lit en desordre, Catherine ferma les yeux pour ne plus voir, mais n'evita pas le bruit mat des poings de Josse cognant dans la chair du page tout en deversant sur lui la plus fantastique collection d'injures parisiennes.

Un dernier coup de poing, un ultime coup de pied dans les maigres fesses du jeune satyre et Tomas, aussi nu qu'au jour de sa naissance, fut jete dans le couloir comme un simple paquet. Il toucha d'ailleurs a peine terre, s'enfuit en courant tandis que Josse, maugreant, s'en allait tirer de derriere un dressoir les deux petites servantes qui, accourues au vacarme, s'y etaient refugiees. Il leur designa Catherine, pelotonnee dans son lit, les draps remontes, ne laissant plus voir que ses yeux encore pleins d'epouvante.

— Occupez-vous de dame Catherine, vous autres. Moi, je vais aller dire au seigneur-archeveque ce que je pense de son precieux page ! At-on jamais vu plus repugnante petite ordure ? Vous n'avez pas trop mal, dame Catherine ? Il tapait comme un sourd quand je suis arrive.

Le ton paisible du Parisien rendit courage a Catherine. Elle s'efforca de lui sourire.

— Je dois etre couverte de bleus, mais ce n'est pas grave. Merci, Josse. Sans vous... Dieu ! Quelle horreur ! Un garcon si jeune ! Je ne suis pas pres d'oublier ce cauchemar ! ajouta-t-elle prete a pleurer.

— La jeunesse n'a rien a voir la-dedans. Et j'ai idee que ce Tomas est possede du demon. Il n'y a qu'a le regarder deux fois pour comprendre qu'il a la cruaute dans le sang... et les germes de pas mal de vices ! Je plains le couvent auquel il se destine et je plains meme Dieu ! Il aura dans ce garcon un effrayant serviteur !

Songeur, les sourcils fronces, Josse etait reste plante au milieu de la chambre, regardant, sans le voir, le soleil qui eclatait maintenant en une gloire de rayons. Soudain, il murmura :

— Le garcon a recu une bonne volee, dame Catherine, mais mieux vaudrait ne plus s'eterniser ici. Des que Gauthier pourra repartir...

— Il le peut, je crois. Il a retrouve la memoire.

Josse Rallard leva les sourcils, jetant a la jeune femme un regard franchement surpris.

— Il est gueri ? Mais, hier, avant le couvre-feu, quand je suis alle le voir, il etait toujours dans le meme etat.

Catherine, dont les petites servantes examinaient les ecorchures, se sentit rougir. Elle detourna les yeux, genee.

— Le miracle a eu lieu cette nuit ! fit-elle seulement.

Il y eut un court silence qui mit un comble a la confusion de Catherine.

— Ah bon ! dit finalement Josse. Alors, nous allons poursuivre notre voyage au plus tot.

Et, calmement, il quitta la chambre, laissant Catherine aux soins de ses servantes.

Une heure plus tard, don Alonso, extremement contrarie, se fit annoncer chez Catherine. Il paraissait plus nerveux, plus febrile que jamais. Ses belles mains s'agitaient sans arret et meme sa voix profonde grimpait par instants a un aigu insolite. Il offrit a la jeune femme des excuses volubiles et souvent peu intelligibles, mais ou elle demela bientot qu'il allait se separer de Tomas.

— Ce penible incident me decide, mon amie. Demain, ce vaurien partira pour le couvent des dominicains de Segovie puisqu'il tient tellement a y aller et grand bien fasse aux bons Peres ! je leur souhaite du plaisir.

— Moi aussi, Votre Reverence, je partirai demain, si vous le voulez bien.

— Comment ? Deja ? Mais votre serviteur ?

— Est tout a fait en etat de reprendre son chemin avec nous. Je vous devrai beaucoup, monseigneur ! Votre bonte, votre generosite...

— Allons, allons ! laissez donc cela...

Un instant, il regarda la jeune femme. Assise sur une haute chaise raide, toute vetue d'un velours noir qui couvrait son cou jusqu'au menton et ses mains jusqu'a la racine des doigts, elle etait l'image meme de la dignite et de la grace. Il lui sourit, paternellement.

— Eh bien, reprenez votre vol, bel oiseau ! Mais je vous regretterai ! Oui, je vous regretterai. Votre presence mettait du soleil dans ce severe chateau... Enfin ! Ainsi va la vie ! Je veillerai aux preparatifs de votre depart.

— Monseigneur, fit Catherine confuse, tant de bonte !

— La bonte n'a rien a voir ici, fit don Alonso en riant, vous savez bien que je suis un vieil esthete, uniquement epris de beaute et d'harmonie. Quand je pense qu'une femme comme vous voyageait dans un mauvais chariot empli de paille, j'en ai la chair de poule !

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