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Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry - Страница 37


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XIV MADEMOISELLE MIMI

O mon ami Rodolphe, qu'est-il donc advenu pour que vous soyez change ainsi? Dois-je croire les bruits que l'on rapporte, et ce malheur a-t-il pu abattre a ce point votre robuste philosophie? Comment pourrai-je, moi, l'historien ordinaire de votre epopee boheme, si pleine d'eclats de rire, comment pourrai-je raconter sur un ton assez melancolique la penible aventure qui met un crepe a votre constante gaiete, et arrete ainsi tout a coup la sonnerie de vos paradoxes?

O Rodolphe, mon ami! Je veux bien que le mal soit grand, mais la, en verite, ce n'est point de quoi s'aller jeter a l'eau. Donc je vous convie au plus vite a faire une croix sur le passe. Fuyez surtout la solitude peuplee de fantomes qui eterniseraient vos regrets. Fuyez le silence, ou les echos des souvenirs seraient encore pleins de vos joies et de vos douleurs passees. Jetez courageusement a tous les vents de l'oubli le nom que vous avez tant aime, et jetez avec lui tout ce qui vous reste encore de celle-la qui le portait. Boucles de cheveux mordues par les levres folles du desir; flacon de Venise, ou dort encore un reste de parfum, qui, en ce moment, serait plus dangereux a respirer pour vous que tous les poisons du monde; au feu les fleurs, les fleurs de gaze, de soie et de velours; les jasmins blancs; les anemones empourprees par le sang d'Adonis, les myosotis bleus, et tous ces charmants bouquets qu'elle composait aux jours lointains de votre court bonheur. Alors, je l'aimais aussi, moi, votre Mimi, et je ne voyais pas de danger a ce que vous l'aimassiez. Mais suivez mon conseil: au feu les rubans, les jolis rubans roses, bleus et jaunes dont elle se faisait des colliers pour agacer le regard; au feu les dentelles et les bonnets, et les voiles et tous ces chiffons coquets dont elle se parait pour aller faire de l'amour mathematique avec M. Cesar, M. Jerome, M. Charles, ou tel autre galant du calendrier, alors que vous l'attendiez a votre fenetre, frissonnant sous les bises et les givres de l'hiver; au feu, Rodolphe, et sans pitie, tout ce qui lui a appartenu et pourrait encore vous parler d'elle; au feu les lettres d'amour . Tenez, en voici precisement une, et vous avez pleure dessus comme une fontaine, o mon ami infortune!

«Comme tu ne rentres pas, je sors pour aller chez ma tante; j'emporte l'argent qu'il y a ici, pour prendre une voiture.-Lucile.» Et ce soir-la, o Rodolphe, vous n'avez pas dine, vous en souvenez-vous? Et vous etes venu chez moi me tirer un feu d'artifice de plaisanteries qui attestaient de la tranquillite de votre esprit. Car vous croyiez Mimi chez sa tante, et si je vous avais dit qu'elle etait chez M. Cesar, ou avec un comedien de Montparnasse, vous auriez certainement voulu me couper la gorge. Au feu encore cet autre billet qui a toute la tendresse laconique du premier:

«Je vais me commander des bottines, il faut absolument que tu trouves de l'argent pour que je les aille chercher apres-demain.» Ah! mon ami, ces bottines-la ont danse bien des contre-danses ou vous ne faisiez pas vis-a-vis. A la flamme tous ces souvenirs, et au vent leurs cendres.

Mais d'abord, O Rodolphe, par amour pour l'humanite et pour la gloire de l'Echarpe d'Iris et du Castor , reprenez les renes du bon gout que vous aviez abandonnees durant votre souffrance egoiste, sans quoi il peut arriver des choses horribles et dont vous seriez responsable. Nous en reviendrions aux manches a gigot, aux pantalons a petit pont, et on verrait un jour venir a la mode des chapeaux qui facheraient l'univers et appelleraient la colere du ciel.

Et maintenant, voici le moment venu de raconter les amours de notre ami Rodolphe avec Mademoiselle Lucile, surnommee Mademoiselle Mimi. Ce fut au detour de sa vingt-quatrieme annee, que Rodolphe fut pris subitement au c?ur par cette passion, qui eut une grande influence sur sa vie. A l'epoque ou il rencontra Mimi, Rodolphe menait cette existence accidentee et fantastique que nous avons essaye de decrire dans les precedentes scenes de cette serie. C'etait certainement un des plus gais porte-misere qui fussent au pays de Boheme. Et lorsque dans sa journee il avait fait un mauvais diner et un bon mot, il marchait plus fier sur le pave qui souvent faillit lui servir de gite, plus fier sous son habit noir criant merci par toutes les coutures, qu'un empereur sous la robe de pourpre. Dans le cenacle ou vivait Rodolphe, par une pose assez commune a quelques jeunes gens, on affectait de traiter l'amour comme une chose de luxe, un pretexte a bouffonnerie. Gustave Colline, qui etait depuis fort longtemps en relation avec une giletiere qu'il rendit contrefaite de corps et d'esprit a force de lui faire copier jour et nuit les manuscrits de ses ouvrages philosophiques, pretendait que l'amour etait une espece de purgation, bonne a prendre a chaque saison nouvelle, pour se debarrasser des humeurs. Au milieu de tous ces faux sceptiques, Rodolphe etait le seul qui osat parler avec quelque reverence de l'amour; et quand on avait le malheur de lui laisser prendre cette corde, il en avait pour une heure a roucouler des elegies sur le bonheur d'etre aime, l'azur du lac paisible, chanson de la brise, concert d'etoiles, etc, etc. Cette manie l'avait fait surnommer l'harmonica , par Schaunard. Marcel avait aussi fait a ce propos un mot tres-joli, ou, faisant allusion aux tirades sentimentales et germaniques de Rodolphe, ainsi qu'a sa calvitie precoce, il l'appelait: myosotis chauve . La verite vraie etait ceci: Rodolphe croyait alors serieusement en avoir fini avec toutes les choses de jeunesse et d'amour; il chantait insolemment le De Profundis sur son c?ur qu'il croyait mort, alors qu'il n'etait qu'immobile, mais pret au reveil, mais facile a la joie et plus tendre que jamais a toutes les cheres douleurs qu'il n'esperait plus et qui le desesperaient aujourd'hui. Vous l'avez voulu, o Rodolphe! et nous ne vous plaindrons pas, car ce mal dont vous souffrez est un de ceux qu'on envie le plus, surtout si l'on sait qu'on en est a jamais gueri.

Rodolphe rencontra donc la jeune Mimi qu'il avait jadis connue, alors qu'elle etait la maitresse d'un de ses amis. Et il en fit la sienne. Ce fut d'abord un grand haro parmi les amis de Rodolphe lorsqu'ils apprirent son mariage; mais comme Mademoiselle Mimi etait fort avenante, point du tout begueule, et supportait sans maux de tete la fumee de la pipe et les conversations litteraires, on s'accoutuma a elle et on la traita comme une camarade. Mimi etait une charmante femme et d'une nature qui convenait particulierement aux sympathies plastiques et poetiques de Rodolphe. Elle avait vingt-deux ans; elle etait petite, delicate, mievre. Son visage semblait l'ebauche d'une figure aristocratique; mais ses traits, d'une certaine finesse et comme doucement eclaires par les lueurs de ses yeux bleus et limpides, prenaient en de certains moments d'ennui ou d'humeur un caractere de brutalite presque fauve, ou un physiologiste aurait peut-etre reconnu l'indice d'un profond egoisme ou d'une grande insensibilite. Mais c'etait le plus souvent une charmante tete au sourire jeune et frais, aux regards tendres ou pleins d'imperieuse coquetterie. Le sang de la jeunesse courait chaud et rapide dans ses veines, et colorait de teintes rosees sa peau transparente aux blancheurs de camelia. Cette beaute maladive seduisait Rodolphe, et il passait souvent, la nuit, bien des heures a couronner de baisers le front pale de sa maitresse endormie, dont les yeux humides et lasses brillaient a demi clos sous le rideau de ses magnifiques cheveux bruns. Mais ce qui contribua surtout a rendre Rodolphe amoureux fou de Mademoiselle Mimi, ce furent ses mains que, malgre les soins du menage, elle savait conserver plus blanches que les mains de la deesse de l'oisivete. Cependant, ces mains si freles, si mignonnes, si douces aux caresses de la levre, ces mains d'enfant entre lesquelles Rodolphe avait depose son c?ur de nouveau en floraison, ces mains blanches de Mademoiselle Mimi devaient bientot mutiler le c?ur du poete avec leurs ongles roses.

Au bout d'un mois, Rodolphe commenca a s'apercevoir qu'il avait epouse une tempete, et que sa maitresse avait un grand defaut. Elle voisinait , comme on dit, et passait une grande partie de son temps chez des femmes entretenues du quartier, dont elle avait fait la connaissance. Il en resulta bientot ce que Rodolphe avait craint lorsqu'il s'etait apercu des relations contractees par sa maitresse. L'opulence variable de quelques-unes de ses amies nouvelles avait fait naitre une foret d'ambition dans l'esprit de Mademoiselle Mimi, qui jusque-la n'avait eu que des gouts modestes et se contentait du necessaire, que Rodolphe lui procurait de son mieux. Mimi commenca a rever la soie, le velours et la dentelle. Et malgre les defenses de Rodolphe, elle continua a frequenter les femmes, qui toutes etaient d'accord pour lui persuader de rompre avec le bohemien qui ne pouvait pas seulement lui donner cent cinquante francs pour s'acheter une robe de drap.

– Jolie comme vous etes, lui disaient ses conseilleres, vous trouverez facilement une position meilleure. Il ne faut que chercher.

Et Mademoiselle Mimi se mit a chercher. Temoin de ses frequentes sorties, maladroitement motivees, Rodolphe entra dans la voie douloureuse des soupcons. Mais des qu'il se sentait sur la trace de quelque preuve d'infidelite, il s'enfoncait avec acharnement un bandeau sur les yeux, afin de ne rien voir. Cependant, quoi qu'il en fut, il adorait Mimi. Il avait pour elle cet amour jaloux, fantasque, querelleur et bizarre que la jeune femme ne comprenait pas, parce qu'elle n'eprouvait alors pour Rodolphe que cet attachement tiede qui resulte de l'habitude. Et d'ailleurs, la moitie de son c?ur avait deja ete depensee au temps de son premier amour, et l'autre moitie etait encore pleine des souvenirs de son premier amant.

Huit mois se passerent ainsi, alternes de jours bons et mauvais. Pendant ce temps, Rodolphe fut vingt fois sur le point de se separer de Mademoiselle Mimi, qui avait pour lui toutes les cruautes maladroites de la femme qui n'aime pas. A proprement parler, cette existence etait devenue pour tous deux un enfer. Mais Rodolphe s'etait habitue a ces luttes quotidiennes, et ne craignait rien tant que de voir cesser cet etat de choses, parce qu'il sentait qu'avec lui cesseraient a jamais et ces fievres de jeunesse et ces agitations qu'il n'avait point ressenties depuis si longtemps. Et puis, s'il faut tout dire aussi, il y avait des heures ou Mademoiselle Mimi savait faire oublier a Rodolphe tous les soupcons auxquels il se dechirait le c?ur. Il y avait des moments ou elle courbait a ses genoux comme un enfant, sous le charme de son regard bleu, ce poete a qui elle avait fait retrouver la poesie perdue, ce jeune a qui elle avait rendu la jeunesse, et qui, grace a elle, etait rentre sous l'equateur de l'amour. Deux ou trois fois par mois, au milieu de leurs orageuses querelles, Rodolphe et Mimi s'arretaient d'un commun accord dans l'oasis fraiche d'une nuit d'amour et de douces causeries. Alors, Rodolphe prenait entre ses bras la tete souriante et animee de son amie, et pendant des heures entieres il se laissait aller a lui parler cet admirable et absurde langage que la passion improvise a ses heures de delire. Mimi ecoutait calme d'abord, plutot etonnee qu'emue, mais a la fin, l'eloquence enthousiaste de Rodolphe, tour a tour tendre, gai, melancolique, la gagnait peu a peu. Elle sentait fondre, au contact de cet amour, les glaces d'indifference qui engourdissaient son c?ur, des fievres contagieuses commencaient a l'agiter, elle se jetait au cou de Rodolphe et lui disait en baisers tout ce qu'elle n'aurait pu lui dire en paroles. Et l'aube les surprenait ainsi, enlaces l'un a l'autre, les yeux dans les yeux, les mains dans les mains, tandis que leurs bouches humides et brulantes murmuraient encore le mot immortel:

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