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Belle Catherine - Бенцони Жюльетта - Страница 36


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— Mais les gardes du pont ne nous laisseront pas passer.

— Si, ils vous laisseront passage si vous leur montrez ceci.

Tout en parlant, il tirait de son doigt une bague. Catherine avait remarque qu'il portait, comme tout seigneur, son sceau grave sur un chaton de bague, mais que ce n'etait pas toujours la meme bague. Il en avait plusieurs, cornaline, sardoine, agate, onyx ou or grave, et c'etait sa coquetterie d'en changer. Elle sentit qu'il lui glissait la bague dans la main.

— Je ne pourrai vous la rendre, dit-elle.

Gardez-la. C'est un bien faible dedommagement pour tout ce que vous avez endure sous mon toit. J'ai de l'estime pour vous, dame Catherine. Vous etes non seulement belle, mais encore courageuse, noble et droite. Je l'ai compris trop tard, sinon jamais je n'aurais obei a Gilles. Voulez-vous me pardonner ? Cette nuit marque pour moi le debut du temps des regrets et des penitences. Dieu me punit cruellement, sachez-le. Il ne me reste, je le crains, que bien peu de temps pour tenter de detourner de moi sa colere.

— Mais, murmura Sara, comment rentrerez-vous, Seigneur ? Les hommes s'etonneront de vous voir revenir aussitot et a pied.

— Il y a, pres d'ici, un souterrain qui fait communiquer les caves du chateau avec la campagne. Je reviendrai par ce moyen.

— Pourquoi, dans ce cas, reprit Catherine, ne pas l'employer pour nous faire sortir ? Ce serait plus simple...

— Peut-etre, mais, si je ne l'emploie pas, c'est pour deux raisons : la premiere est qu'il vous faut des montures et qu'aucun cheval ne peut prendre les souterrains. La seconde, ne vous offensez pas, est que je n'ai pas le droit de livrer a des etrangeres les secrets de defense qui constituent la securite interne du chateau. Plus un mot maintenant, je vais ouvrir... Quand vous serez assez eloignees dans la cour, je rallumerai la torche.

La petite porte s'ouvrit avec un tres leger grincement, decoupant, sur le ciel plus clair, une ogive basse.

— Allez !... souffla Craon. Suivez le mur a gauche.

Les deux femmes, l'une soutenant l'autre, se coulerent dans l'ouverture. Catherine tenait Sara par la taille et, de sa main libre, tatait le mur. Ce n'etait pas facile car elle etait, de plus, encombree de son baluchon. Sous sa main, la pierre etait froide et humide. Elle trebucha sur le sol inegal, mais, peu a peu, ses yeux s'habituaient a l'obscurite.

Au bout de quelques minutes, une torche rougeoya sous l'arche de pierre qu'elles venaient de quitter. Jean de Craon la portait assez haut pour que son visage fut aisement reconnaissable. D'un pas ferme, il marchait vers l'autre bout de la cour.

— Voici l'encoignure, chuchota Catherine, sentant une depression sous sa main.

Au-dessus d'elle, d'ailleurs, le surplomb du chemin de ronde mettait une ombre plus dense. Le pas lent d'un soldat se fit entendre et son c?ur se remit a battre sur un rythme inquiet. Elle retint sa respiration, s'affolant de sentir Sara se faire plus lourde sur son bras. La malheureuse devait etre au bord de l'epuisement. Le raclement des semelles ferrees avait cesse.

L'homme devait etre arrete. Catherine l'entendit tousser. Puis il repartit et elle osa demander :

— Est-ce que tu es malade ? Tu sembles si faible.

— Voila des nuits que je n'ai pas dormi, a cause des rats, et, depuis deux jours, je n'ai rien eu a manger. Et puis...

— Et puis quoi ?

Catherine sentit que Sara frissonnait. Sa voix chuchotant, dans l'ombre, se fit sourde :

— Rien. Plus tard je te dirai... quand j'aurai la force. Moi aussi, je connais le secret du sire de Rais. Tu ne peux pas savoir comme j'ai hate d'etre loin d'ici, meme si je dois pour cela me trainer sur les genoux.

Sans repondre, Catherine appliqua brusquement sa main sur la bouche de Sara. Tout en parlant, elle avait suivi le parcours du vieux Craon. Elle l'avait vu se faire ouvrir l'ecurie, en sortir a cheval, tenant une autre bete par la bride.

Maintenant, il s'avancait vers elles, le pas des chevaux resonnant sur la terre durcie. Bientot, il fut entre elles et le corps de garde d'ou un homme sortait en courant.

— Ouvre ! cria Craon. J'ai affaire a l'abbaye.

— Bien, Monseigneur !

La poterne s'ouvrit en grincant, mais le petit pont s'abaissa sans bruit. Sans hesiter, Catherine entraina Sara sous la tete meme des chevaux, de facon que l'homme d'armes ne put les voir de derriere quand il refermerait. Mais la nuit etait si sombre qu'il ne pouvait les distinguer. Bientot, elles eurent franchi les douves, prirent pied sur le pont dormant. La voix du soldat leur parvint encore :

— Vous ne voulez point d'escorte, Monseigneur ? La nuit est bien noire, il me semble.

— J'aime les nuits noires, tu devrais le savoir, Martin, repondit le vieux sire.

Le vent, venu de la Loire, se levait et Catherine l'aspira a longs traits. Il faisait plus froid que dans l'enceinte du chateau, mais cela sentait bon la campagne mouillee et surtout la liberte. Entrainant Sara qu'elle sentait trembler a son bras, elle devala le chemin du village jusqu'a ce qu'elles ne fussent plus visibles du chateau. Le bruit paisible des sabots des chevaux resonnait d'une facon rassurante derriere elles, se rapprochant. Les deux femmes s'arreterent a l'ombre du chevet de l'eglise, derriere un arc-boutant ou, peu apres, le vieux seigneur les rejoignit. Il sauta a terre.

— Il faut faire vite maintenant. Quelqu'un pourrait nous voir. Tenez, dame Catherine, je vous ai amene Morgane. J'ai cru remarquer que vous vous entendiez bien avec elle... et puis ce sera comme un present d'adieu. C'est une bonne bete, solide et sure. Maintenant, allez votre chemin et que Dieu vous garde !

A la lumiere incertaine de la nuit, Catherine pouvait deviner les traits figes de Craon. Sa haute silhouette penchee la dominait et le vent faisait voltiger le pan de son chaperon. Elle murmura :

— J'ai peur pour vous, Seigneur. Quand « il » saura...

— Je vous ai deja dit que je n'avais rien a craindre de lui. Et puis... quand bien meme il s'en prendrait a moi. Je ne desire plus qu'une seule chose : le repos eternel... en souhaitant qu'il apporte l'oubli.

Il y avait tant de desespoir dans sa voix que Catherine, oubliant ses rancunes passees, ne put s'empecher de murmurer :

— Je ne sais pas ce qui est advenu cette nuit, Messire, mais je voudrais pouvoir quelque chose...

— Rien ! Personne ne peut rien ! Ce que j'ai vu dans la chambre de Gilles depasse en horreur tout ce qui se peut imaginer. Je suis un vieux guerrier, dame Catherine, et n'ai jamais ete sensible, mais cette scene diabolique... ces hommes ivres et dechaines, cette orgie dont le centre...

Il retint encore un instant les mots qui se pressaient sur ses levres comme si leur son meme l'epouvantait, puis :

— ... dont le centre etait un enfant... un jeune garcon eventre dans le sang duquel Gilles se vautrait, assouvissant un monstrueux desir ! Voila ce qu'est celui dont j'ai cru faire un homme, un guerrier ! Voila ce qu'est Gilles de Rais qui eut droit d'entrer a cheval dans la cathedrale de Reims pour escorter la Sainte Ampoule ! Voila ce qu'est mon petit-fils... un monstre vomi par l'enfer et promis a la damnation ! Mon petit- fils... le dernier de ma race !

Le sanglot qui brisa la voix du vieux seigneur bouleversa Catherine. Petrifiee d'horreur, elle ecoutait mourir en elle l'echo de la revelation. Cet homme dont le seul crime reel avait ete son amour insense pour son petit-fils ne se releverait jamais, elle le sentait, de cet ecrasement. Elle le vit porter ses poings a ses yeux, les essuyer, mais, avant qu'elle ait pu proferer une parole, il continuait, la voix rauque :

— Vous comprenez maintenant pourquoi je ne veux pas qu'un enfant voie le jour dans cette demeure maudite et deshonoree. Un Montsalvy ne doit pas naitre sur un fumier !... Allez-vous-en, maintenant, Madame, partez vite... Mais jurez-moi de ne jamais reveler a quiconque ce que je vous ai confie pour ma honte !

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