Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 57
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Elle se mit a l'ouvrage aussitot. Debarrassee de ses vetements en un tournemain par deux Mauresques aussi maigres que leur maitresse etait grasse, elle se retrouva assise sur un tabouret de bois dans une piece tout en mosaique emplie de vapeur d'eau. On la laissa transpirer la une bonne demi-heure ; apres quoi, les deux baigneuses la transporterent a demi etouffee, sur le banc de massage ou Fatima l'attendait, les poings sur les hanches, comme le bourreau attendant sa victime.
Catherine fut etalee sur la table a la maniere d'une simple pate a pain, puis, sans perdre un instant, Fatima chaussa sa main droite d'un gant de laine reche, empoigna de l'autre un grand pot de terre plein d'une sorte de pate ocre et se mit a enduire sa cliente a une allure vertigineuse. En un rien de temps, la jeune femme se retrouva transformee en une sorte de statue boueuse avec quelques trous pour les yeux et la respiration. Ensuite, les mains vigoureuses de Fatima la frictionnerent avec cette terre, puis on la lava a grande eau avant de l'envelopper dans un grand drap de laine fine et de la transporter sur une autre table pourvue d'un appui echancre pour le cou qui laissait pendre les cheveux au-dehors.
La tete de Catherine fut savonnee plusieurs fois, rincee, rerincee, enduite d'une huile parfumee, puis relavee et finalement frictionnee avec de l'essence de jasmin. Durant tout le temps qu'avaient pris ces operations, elle n'avait meme pas entendu le son de la voix de la grosse Fatima. Celle-ci ne se decida a parler qu'une fois sa cliente enturbannee d'une serviette seche, revetue d'un peignoir de laine blanche fine et installee sur une sorte de lit de repos au milieu d'une multitude de coussins. Fatima, alors, frappa dans ses mains et un eunuque apparut, portant un large plateau de cuivre empli d'une multitude de petits plats qu'il posa sur une table basse aupres du lit.
Fatima, qui n'avait pas juge utile de couvrir sa semi-nudite quand l'eunuque etait entre, designa le plateau a Catherine.
— Tu vas manger tout ce qu'il y a la-dessus.
— Tout ? s'ecria la jeune femme effaree.
En effet, elle pouvait voir, fumant sur le plateau, plusieurs sortes de boulettes de viande, deux potages dont l'un comportait lui aussi des boulettes, des concombres confits dans le vinaigre, des aubergines roties, une sorte de ragout dont la sauce embaumait et, enfin, plusieurs sortes de gateaux luisants de miel et herisses d'amandes. De quoi nourrir Gauthier lui-meme !
Je ne pourrai jamais manger tout cela ! fit-elle avec une timidite qu'expliquait la carrure de Fatima, mais la baigneuse ne s'emut pas pour autant.
— Tu y mettras le temps qu'il faut, mais il faut que tu manges tout
! Comprends-moi bien, Lumiere de l'Aurore": ton maitre Abou-al-Khayr t'a confiee a moi pour que je fasse de toi la plus belle creature de tout l'Islam. Et j'ai ma reputation a soutenir. Tu ne sortiras d'ici que lorsque ton corps sera devenu aussi suave qu'un sorbet a la rose !
— Je ne sortirai d'ici, repeta Catherine. Que veux-tu dire ?
— Que tu ne quitteras cette maison que pour entrer au lit de ton maitre et faire ses delices, affirma tranquillement la negresse. Cet appartement sera le tien jusqu'a ce jour. Tu y seras servie, soignee, surveillee comme...
— Comme une oie a l'engrais ! s'emporta Catherine. Mais je ne veux pas ! Je vais perir d'ennui ici !
— Tu n'auras pas le temps ! Tu es belle mais affreusement maigre, ta peau est seche. Il y a beaucoup a faire. Et puis tu pourras te promener dans le jardin, prendre le frais le soir, sur la terrasse. Enfin, dument voilee et sous bonne escorte, te promener de temps en temps dans la ville. Crois-moi, tu n'auras pas le temps de t'ennuyer !
D'ailleurs, la duree de ton sejour dependra de ta bonne volonte. Plus vite tu seras prete et plus vite tu sortiras... encore que je ne comprenne guere ta hate de recevoir les caresses du petit medecin qui a beaucoup de cervelle, mais pas beaucoup de muscles et qui doit etre un pietre amant. Mange !
Et sur cette injonction, Fatima sortit, laissant Catherine partagee entre la fureur et l'envie de rire. Comment Abou avait-il ose la cloitrer chez cette femme ? Il s'etait bien garde de lui dire qu'elle ne reviendrait chez lui qu'une fois remise en possession de tous ses charmes car il savait bien comment elle aurait reagi. D'ailleurs, il n'etait pas difficile de deviner qu'en la confiant a ce mastodonte noir il entendait la mettre a l'abri de ses propres impulsions et se donner a lui-meme le temps de reflechir. Au fond, c'etait astucieux ! Le mieux etait d'obeir.
Docilement, elle avala le contenu de son plateau, but avec mefiance d'abord puis avec un plaisir croissant le the a la menthe, chaud, fort et bien sucre... et la-dessus s'endormit tout naturellement.
Quand elle s'eveilla, elle trouva Fatima debout pres de son divan, souriant de toutes ses fortes dents blanches.
— Tu as dormi deux heures ! lui annonca-t-elle triomphalement.
Et tu as tout mange : c'est bien ! Nous nous entendrons. Maintenant nous pouvons continuer.
Extraite de son divan par deux servantes qui la portaient aussi precautionneusement qu'un vase de cristal, Catherine fut amenee dans la salle d'epilation ou une specialiste la debarrassa de tout duvet superflu a l'aide d'une pate epaisse a base de chaux et d'orpiment tandis qu'une coiffeuse enduisait sa chevelure d'un henne leger qui, une fois ote, laissa dans ses cheveux de merveilleux reflets d'or roux.
Apres quoi, on la remit aux mains de Fatima en personne. La baigneuse frotta d'une huile parfumee tout le corps de sa cliente puis se mit a la masser. Cette fois, Catherine se laissa faire avec un reel plaisir. Les mains noires de Fatima pouvaient avoir une fermete implacable ou une etonnante douceur. Sans doute, pour l'encourager, l'Ethiopienne declara, tout en malaxant energiquement le ventre de la jeune femme :
— Quand j'en aurai fini avec toi, tu pourras rivaliser meme avec la princesse Zobeida, la perle du harem.
Le nom fit sursauter Catherine, qui brusquement devint attentive puis demanda, sans avoir l'air d'y attacher d'importance :
— J'en ai entendu parler. Tu la connais ? On la dit tres belle !...
Certes, je la connais. Elle s'etait meme confiee a mes soins, apres une maladie. C'est la plus belle panthere de tout l'Orient. Elle est cruelle, sauvage, ardente mais belle ! oh oui ! admirablement belle ! Elle ne l'ignore pas d'ailleurs. Zobeida est orgueilleuse de son corps dont elle connait la perfection, de ses seins sur lesquels on pourrait mouler des coupes sans defaut... et ne les cache guere. Dans l'enceinte de ses appartements et de son jardin prive, elle ne porte guere que des mousselines fort transparentes et des joyaux merveilleux pour mieux rejouir les yeux de son amant.
Du coup, la gorge de Catherine se secha brusquement.
— Son amant ?
Fatima retourna Catherine comme une crepe et se mit a lui malaxer le dos puis ricana.
— Je devrais dire ses amants car on chuchote, dans les bazars, que plus d'un beau guerrier est entre, la nuit, par une porte secrete, dans les appartements de la princesse pour contenter sa faim d'amour. Parfois meme, dit-on, Zobeida a fait ses delices d'esclaves bien muscles...
dont on retrouvait les cadavres dans les fosses d'Al Hamra...
Catherine hesitait entre l'inquietude et le soulagement. D'une part, si Zobeida etait ce genre de Messaline, il serait peut-etre plus facile qu'elle ne le craignait de lui arracher sa proie... Mais, d'autre part, qui pouvait dire si pareil sort n'attendait pas Arnaud ? Pourquoi fallut-il que Fatima ajoutat :
— Mais, depuis quelques mois, les langues agiles des commeres ne s'agitent plus dans le meme sens autour des fontaines et des caravanserails. Zobeida n'a plus qu'un amant, un captif franc, dont elle est folle, et plus personne ne franchit la porte secrete qui mene a ses jardins...
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