Выбери любимый жанр

Les Essais – Livre III - Montaigne Michel de - Страница 71


Изменить размер шрифта:

71

Mon marcher est prompt et ferme: et ne scay lequel des deux, ou l'esprit ou le corps, j'ay arreste plus mal-aisement, en mesme poinct. Le prescheur est bien de mes amys, qui oblige mon attention, tout un sermon. Aux lieux de ceremonie, ou chacun est si bande en contenance, ou j'ay veu les dames tenir leurs yeux mesmes si certains, je ne suis jamais venu a bout, que quelque piece des miennes n'extravague tousjours: encore que j'y sois assis, j'y suis peu rassis: Comme la chambriere du philosophe Chrysippus, disoit de son maistre, qu'il n'estoit yvre que par les jambes: car il avoit ceste coustume de les remuer, en quelque assiette qu'il fust: et elle le disoit, lors que le vin esmouvant ses compaignons, luy n'en sentoit aucune alteration. On a peu dire aussi des mon enfance, que j'avoy de la follie aux pieds, ou de l'argent vif: tant j'y ay de remuement et d'inconstance naturelle, en quelque lieu, que je les place.

C'est indecence, outre ce qu'il nuit a la sante, voire et au plaisir, de manger gouluement, comme je fais: Je mors souvent ma langue, par fois mes doigts, de hastivete. Diogenes, rencontrant un enfant qui mangeoit ainsin, en donna un soufflet a son precepteur. Il y avoit des hommes a Rome, qui enseignoyent a mascher, comme a marcher, de bonne grace. J'en pers le loisir de parler, qui est un si doux assaisonnement des tables, pourveu que ce soyent des propos de mesme, plaisans et courts.

Il y a de la jalousie et envie entre nos plaisirs, ils se choquent et empeschent l'un l'autre. Alcibiades, homme bien entendu a faire bonne chere, chassoit la musique mesme des tables, pour qu'elle ne troublast la douceur des devis, par la raison, que Platon luy preste, Que c'est un usage d'hommes populaires, d'appeller des joueurs d'instruments et des chantres aux festins, a faute de bons discours et aggreables entretiens, dequoy les gents d'entendement scavent s'entrefestoyer.

Varro demande cecy au convive: l'assemblee de personnes belles de presence, et aggreables de conversation, qui ne soyent ny muets ny bavarts: nettete et delicatesse aux vivres, et au lieu: et le temps serein. Ce n'est pas une feste peu artificielle, et peu voluptueuse, qu'un bon traittement de table. Ny les grands chefs de guerre, ny les grands philosophes, n'en ont desdaigne l'usage et la science. Mon imagination en a donne trois en garde a ma memoire, que la fortune me rendit de souveraine douceur, en divers temps de mon aage plus fleurissant. Mon estat present m'en forclost. Car chacun pour soy y fournit de grace principale, et de saveur, selon la bonne trampe de corps et d'ame, en quoy lors il se trouve.

Moy qui ne manie que terre a terre, hay ceste inhumaine sapience, qui nous veut rendre desdaigneux et ennemis de la culture du corps. J'estime pareille injustice, de prendre a contre coeur les voluptez naturelles, que de les prendre trop a coeur: Xerxes estoit un fat, qui enveloppe en toutes les voluptez humaines, alloit proposer prix a qui luy en trouveroit d'autres. Mais non guere moins fat est celuy, qui retranche celles, que nature luy a trouvees. Il ne les faut ny suyvre ny fuyr: il les faut recevoir. Je les recois un peu plus grassement et gratieusement, et me laisse plus volontiers aller vers la pente naturelle. Nous n'avons que faire d'exaggerer leur inanite: elle se faict assez sentir, et se produit assez. Mercy a nostre esprit maladif, rabat-joye, qui nous desgouste d'elles, comme de soy-mesme. Il traitte et soy, et tout ce qu'il recoit, tantost avant, tantost arriere, selon son estre insatiable, vagabond et versatile:

Syncerum est nisi vas, quodcunque infundis, acescit .

Moy, qui me vente d'embrasser si curieusement les commoditez de la vie, et si particulierement: n'y trouve, quand j'y regarde ainsi finement, a peu pres que du vent. Mais quoy? nous sommes par tout vent. Et le vent encore, plus sagement que nous s'ayme a bruire, a s'agiter: Et se contente en ses propres offices: sans desirer la stabilite, la solidite, qualitez non siennes.

Les plaisirs purs de l'imagination, ainsi que les desplaisirs, disent aucuns, sont les plus grands: comme l'exprimoit la balance de Critolaus. Ce n'est pas merveille. Elle les compose a sa poste, et se les taille en plein drap. J'en voy tous les jours, des exemples insignes, et a l'adventure desirables. Mais moy, d'une condition mixte, grossier, ne puis mordre si a faict, a ce seul object, si simple: que je ne me laisse tout lourdement aller aux plaisirs presents, de la loy humaine et generale. Intellectuellement sensibles, sensiblement intellectuels. Les philosophes Cyrenaiques veulent, que comme les douleurs, aussi les plaisirs corporels soyent plus puissants: et comme doubles, et comme plus justes.

Il en est, comme dit Aristote, qui d'une farousche stupidite, en font les desgoustez. J'en cognoy d'autres qui par ambition le font. Que ne renoncent ils encore au respirer? que ne vivent-ils du leur, et ne refusent la lumiere, de ce qu'elle est gratuite: ne leur coutant ny invention ny vigueur? Que Mars, ou Pallas, ou Mercure, les substantent pour voir, au lieu de Venus, de Cerez, et de Bacchus. Chercheront ils pas la quadrature du cercle, juchez sur leurs femmes? Je hay, qu'on nous ordonne d'avoir l'esprit aux nues, pendant que nous avons le corps a table. Je ne veux pas que l'esprit s'y cloue, ny qu'il s'y veautre: mais je veux qu'il s'y applique: qu'il s'y see, non qu'il s'y couche. Aristippus ne defendoit que le corps, comme si nous n'avions pas d'ame: Zenon n'embrassoit que l'ame, comme si nous n'avions pas de corps. Touts deux vicieusement. Pythagoras, disent-ils, a suivy une philosophie toute en contemplation: Socrates, toute en moeurs et en action: Platon en a trouve le temperament entre les deux. Mais ils le disent, pour en conter. Et le vray temperament se trouve en Socrates; et Platon est plus Socratique, que Pythagorique: et luy sied mieux.

Quand je dance, je dance: quand je dors, je dors. Voire, et quand je me promeine solitairement en un beau verger, si mes pensees se sont entretenues des occurrences estrangeres quelque partie du temps: quelque autre partie, je les rameine a la promenade, au verger, a la douceur de cette solitude, et a moy. Narure a maternellement observe cela, que les actions qu'elle nous a enjoinctes pour nostre besoing, nous fussent aussi voluptueuses. Et nous y convie, non seulement par la raison, mais aussi par l'appetit: c'est injustice de corrompre ses reigles.

Quand je vois, et C?sar, et Alexandre, au plus espaiz de sa grande besongne, jouir si plainement des plaisirs humains et corporels, je ne dis pas que ce soit relascher son ame, je dis que c'est la roidir, sousmettant par vigueur de courage, a l'usage de la vie ordinaire, ces violentes occupations et laborieuses pensees. Sages, s'ils eussent creu, que c'estoit la leur ordinaire vocation, cette-cy, l'extraordinaire. Nous sommes de grands fols. Il a passe sa vie en oisivete, disons-nous: je n'ay rien faict d'aujourd'huy. Quoy? avez-vous pas vescu? C'est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre de vos occupations. Si on m'eust mis au propre des grands maniements, j'eusse montre ce que je scavoy faire. Avez vous sceu mediter et manier vostre vie? vous avez faict la plus grande besoigne de toutes.

Pour se montrer et exploicter, nature n'a que faire de fortune. Elle se montre egallement en tous estages: et derriere, comme sans rideau. Avez-vous sceu composer vos moeurs: vous avez bien plus faict que celuy qui a compose des livres. Avez vous sceu prendre du repos, vous avez plus faict, que celuy qui a pris des Empires et des villes. Le glorieux chef-d'oeuvre de l'homme, c'est vivre a propos. Toutes autres choses; regner, thesauriser, bastir, n'en sont qu'appendicules et adminicules, pour le plus. Je prens plaisir de voir un general d'armee au pied d'une breche qu'il veut tantost attaquer, se prestant tout entier et delivre, a son disner, au devis, entre ses amis. Et Brutus, ayant le ciel et la terre conspirez a l'encontre de luy, et de la liberte Romaine, desrober a ses rondes, quelque heure de nuict, pour lire et breveter Polybe en toute securite. C'est aux petites ames ensevelies du poix des affaires, de ne s'en scavoir purement desmesler: de ne les scavoir et laisser et reprendre.

o fortes pejoraque passi,

Mecum s?pe viri, nunc vino pellite curas,

Cras ingens iterabimus ?quor .

Soit par gosserie, soit a certes, que le vin theologal et Sorbonique est passe en proverbe, et leurs festins: je trouve que c'est raison, qu'ils en disnent d'autant plus commodement et plaisamment, qu'ils ont utilement et serieusement employe la matinee a l'exercice de leur eschole. La conscience d'avoir bien dispense les autres heures, est un juste et savoureux condiment des tables. Ainsin ont vescu les sages. Et cette inimitable contention a la vertu, qui nous estonne en l'un et l'autre Caton, cette humeur severe jusques a l'importunite, s'est ainsi mollement submise, et pleue aux loix de l'humaine condition, et de Venus et de Bacchus. Suivant les preceptes de leur secte, qui demandent le sage parfaict, autant expert et entendu a l'usage des voluptez qu'en tout autre devoir de la vie. Cui cor sapiat, ei et sapiat palatus .

Le relaschement et facilite, honore ce semble a merveilles, et sied mieux a une ame forte et genereuse. Epaminondas n'estimoit pas que de se mesler a la dance des garcons de sa ville, de chanter, de sonner, et s'y embesongner avec attention, fust chose qui desrogeast a l'honneur de ses glorieuses victoires, et a la parfaicte reformation des moeurs qui estoit en luy. Et parmy tant d'admirables actions de Scipion l'ayeul, personnage digne de l'opinion d'une geniture celeste, il n'est rien qui luy donne plus de grace, que de le voir nonchalamment et puerilement baguenaudant a amasser et choisir des coquilles, et jouer a cornichon va devant, le long de la marine avec L?lius: Et s'il faisoit mauvais temps, s'amusant et se chatouillant, a representer par escript en comedies les plus populaires et basses actions des hommes. Et la teste pleine de cette merveilleuse entreprinse d'Annibal et d'Afrique; visitant les escholes en Sicile, et se trouvant aux lecons de la philosophie, jusques a en avoir arme les dents de l'aveugle envie de ses ennemis a Rome. Ny chose plus remarquable en Socrates, que ce que tout vieil, il trouve le temps de se faire instruire a baller, et jouer des instrumens: et le tient pour bien employe.

Cettuy-cy, s'est veu en ecstase debout, un jour entier et une nuict, en presence de toute l'armee Grecque, surpris et ravy par quelque profonde pensee. Il s'est veu le premier parmy tant de vaillants hommes de l'armee, courir au secours d'Alcibiades, accable des ennemis: le couvrir de son corps, et le descharger de la presse, a vive force d'armes. En la bataille Delienne, relever et sauver Xenophon, renverse de son cheval. Et emmy tout le peuple d'Athenes, outre, comme luy, d'un si indigne spectacle, se presenter le premier a recourir Theramenes, que les trente tyrans faisoient mener a la mort par leurs satellites: et ne desista cette hardie entreprinse, qu'a la remontrance de Theramenes mesme: quoy qu'il ne fust suivy que de deux, en tout. Il s'est veu, recherche par une beaute, de laquelle il estoit esprins, maintenir au besoing une severe abstinence. Il s'est veu continuellement marcher a la guerre, et fouler la glace les pieds nuds; porter mesme robbe en hyver et en este: surmonter tous ses compaignons en patience de travail, ne manger point autrement en festin qu'en son ordinaire: Il s'est veu vingt et sept ans, de pareil visage, porter la faim, la pauvrete, l'indocilite de ses enfants, les griffes de sa femme. Et en fin la calomnie, la tyrannie, la prison, les fers, et le venin. Mais cet homme la estoit-il convie de boire a lut par devoir de civilite? c'estoit aussi celuy de l'armee, a qui en demeuroit l'advantage. Et ne refusoit ny a jouer aux noisettes avec les enfans, ny a courir avec eux sur un cheval de bois, et y avoit bonne grace: Car toutes actions, dit la philosophie, sieent egallement bien et honnorent egallement le sage. On a dequoy, et ne doit-on jamais se lasser de presenter l'image de ce personnage a tous patrons et formes de perfection. Il est fort peu d'exemples de vie, pleins et purs. Et faict-on tort a nostre instruction, de nous en proposer tous les jours, d'imbecilles et manques: a peine bons a un seul ply: qui nous tirent arriere plustost: corrupteurs plustost que correcteurs.

71
Перейти на страницу:

Вы читаете книгу


Montaigne Michel de - Les Essais – Livre III Les Essais – Livre III
Мир литературы

Жанры

Фантастика и фэнтези

Детективы и триллеры

Проза

Любовные романы

Приключения

Детские

Поэзия и драматургия

Старинная литература

Научно-образовательная

Компьютеры и интернет

Справочная литература

Документальная литература

Религия и духовность

Юмор

Дом и семья

Деловая литература

Жанр не определен

Техника

Прочее

Драматургия

Фольклор

Военное дело