Выбери любимый жанр

Les Essais – Livre III - Montaigne Michel de - Страница 40


Изменить размер шрифта:

40

Je disois donc tantost, qu'estant plante en la plus profonde miniere de ce nouveau metal, non seulement je suis prive de grande familiarite, avec gens d'autres moeurs que les miennes: et d'autres opinions, par lesquelles ils tiennent ensemble d'un noeud, qui commande tout autre noeud. Mais encore je ne suis pas sans hazard, parmy ceux, a qui tout est esgalement loisible: et desquels la plus part ne peut empirer meshuy son marche, vers nostre justice: D'ou naist l'extreme degre de licence. Comptant toutes les particulieres circonstances qui me regardent, je ne trouve homme des nostres, a qui la deffence des loix, couste, et en gain cessant, et en dommage emergeant, disent les clercs, plus qu'a moy. Et tels font bien les braves, de leur chaleur et asprete, qui font beaucoup moins que moy, en juste balance.

Comme maison de tout temps libre, de grand abbord, et officieuse a chacun (car je ne me suis jamais laisse induire, d'en faire un outil de guerre: laquelle je vois chercher plus volontiers, ou elle est le plus esloingnee de mon voisinage) ma maison a merite assez d'affection populaire: et seroit bien mal-aise de me gourmander sur mon fumier: Et j'estime a un merveilleux chef d'oeuvre, et exemplaire, qu'elle soit encore vierge de sang, et de sac, soubs un si long orage, tant de changemens et agitations voisines. Car a dire vray, il estoit possible a un homme de ma complexion, d'eschaper a une forme constante, et continue, telle qu'elle fust: Mais les invasions et incursions contraires, et alternations et vicissitudes de la fortune, au tour de moy, ont jusqu'a cette heure plus exaspere qu'amolly l'humeur du pays: et me rechargent de dangers, et difficultez invincibles. J'eschape: Mais il me desplaist que ce soit plus par fortune: voire, et par ma prudence, que par justice: Et me desplaist d'estre hors la protection des loix, et soubs autre sauvegarde que la leur. Comme les choses sont, je vis plus qu'a demy, de la faveur d'autruy: qui est une rude obligation. Je ne veux debvoir ma seurete, ny a la bonte, et benignite des grands, qui s'aggreent de ma legalite et liberte: ny a la facilite des moeurs de mes predecesseurs, et miennes: car quoy si j'estois autre? Si mes deportemens et la franchise de ma conversation, obligent mes voisins, ou la parente: c'est cruaute qu'ils s'en puissent acquitter, en me laissant vivre, et qu'ils puissent dire: Nous luy condonons la libre continuation du service divin, en la chapelle de sa maison, toutes les Eglises d'autour, estants par nous desertees: et luy condonons l'usage de ses biens, et sa vie, comme il conserve nos femmes, et nos boeufs au besoing. De longue main chez moy, nous avons part a la louange de Lycurgus Athenien, qui estoit general depositaire et gardien des bourses de ses concitoyens.

Or je tiens, qu'il faut vivre par droict, et par auctorite, non par recompence ny par grace. Combien de galans hommes ont mieux ayme perdre la vie, que la devoir? Je fuis a me submettre a toute sorte d'obligation. Mais sur tout, a celle qui m'attache, par devoir d'honneur. Je ne trouve rien si cher, que ce qui m'est donne: et ce pourquoy, ma volonte demeure hypothequee par tiltre d'ingratitude: Et recois plus volontiers les offices, qui sont a vendre. Je croy bien: Pour ceux-cy, je ne donne que de l'argent: pour les autres, je me donne moy-mesme. Le neud, qui me tient par la loy d'honnestete, me semble bien plus pressant et plus poisant, que n'est celuy de la contraincte civile. On me garrote plus doucement par un Notaire, que par moy. N'est-ce pas raison, que ma conscience soit beaucoup plus engagee, a ce, en quoy on s'est simplement fie d'elle? Ailleurs, ma foy ne doit rien: car on ne luy a rien preste. Qu'on s'ayde de la fiance et asseurance, qu'on a prise hors de moy. J'aymeroy bien plus cher, rompre la prison d'une muraille, et des loix, que de ma parole. Je suis delicat a l'observation de mes promesses, jusques a la superstition: et les fay en tous subjects volontiers incertaines et conditionnelles. A celles, qui sont de nul poids, je donne poids de la jalousie de ma reigle: elle me gehenne et charge de son propre interest. Ouy, es entreprinses toutes miennes et libres, si j'en dy le poinct, il me semble, que je me les prescry: et que, le donner a la science d'autruy, c'est le preordonner a soy. Il me semble que je le promets, quand je le dy. Ainsi j'evente peu mes propositions.

La condemnation que je fais de moy, est plus vifve et roide, que n'est celle des juges, quine me prennent que par le visage de l'obligation commune: l'estreinte de ma conscience plus serree, et plus severe: Je suy laschement les debvoirs ausquels on m'etraineroit, si je n'y allois. Hoc ipsum ita justum est quod recte fit, si est voluntarium . Si l'action on n'a quelque splendeur de liberte, elle n'a point de grace, ny d'honneur.

Quod me jus cogit, vix vol untate impetrent .

Ou la necessite me tire, j'ayme a lacher la volonte. Quia quicquid imperio cogitur, exigenti magis, quam pr?stanti acceptum refertur . J'en scay qui suyvent cet air, jusques a l'injustice: Donnent plustost qu'ils ne rendent, prestent plustost qu'ilz ne payent: font plus escharsement bien a celuy, a qui ils en sont tenus. Je ne vois pas la, mais je touche contre.

J'ayme tant a me descharger et desobliger, que j'ay parfois compte a profit, les ingratitudes, offences, et indignitez, que j'avois receu de ceux, a quiou par nature, ou par accident, j'avois quelque devoir d'amitie: prenant cette occasion de leur faute, pour autant d'acquit, et descharge de ma debte. Encore que je continue a leurs payer les offices apparents, de la raison publique, je trouve grande espargne pourtant a faire par justice, ce que je faisoy par affection, et a me soulager un peu, de l'attention et sollicitude, de ma volonte au dedans. Est prudentis sustinere ut cursum, sic impetum benevolenti? . Laquelle j'ay trop urgente et pressante, ou je m'addonne: aumoins pour un homme, qui ne veut estre aucunement en presse. Et me sert cette mesnagerie, de quelque consolation, aux imperfections de ceux qui me touchent. Je suis bien desplaisant qu'ils en vaillent moins, mais tant y a, que j'en espargne aussi quelque chose de mon application et engagement envers eux. J'approuve celuy qui ayme moins son enfant, d'autant qu'il est ou teigneux ou bossu: Et non seulement, quand il malicieux; mais aussi quand il est malheureux, et mal nay (Dieu mesme en a rabbatu cela de son prix, et estimation naturelle) pourveu qu'il se porte en ce refroidissement, avec moderation, et justice exacte. En moy, la proximite n'allege pas les deffauts, elle les aggrave plustost.

Apres tout, selon que je m'entends en la science du bien-faict et de recognoissance, qui est une subtile science et de grand usage, je ne vois personne, plus libre et moins endebte, que je suis jusques a cette heure. Ce que je doibs, je le doibs simplement aux obligations communes et naturelles. Il n'en est point, qui soit plus nettement quitte d'ailleurs.

nec sunt mihi nota potentum

Munera .

Les Princes me donnent prou, s'ils ne m'ostent rien: et me font assez de bien, quand ils ne me font point de mal: c'est tout ce que j'en demande. O combien je suis tenu a Dieu, de qu'il luy a pleu, que j'aye receu immediatement de sa grace, tout ce que j'ay: qu'il a retenu particulierement a soy toute ma debte! Combien je supplie instamment sa saincte misericorde, que jamais je ne doive un essentiel grammercy a personne! Bien heureuse franchise: qui m'a conduit si loing. Qu'elle acheve.

J'essaye a n'avoir expres besoing de nul.

In me omnis spes est mihi . C'est chose que chacun peut en soy: mais plus facilement ceux, que Dieu a mis a l'abry des necessitez naturelles et urgentes. Il fait bien piteux, et hazardeux, despendre d'un autre. Nous mesmes qui est la plus juste adresse, et la plus seure, ne nous sommes pas assez asseurez. Je n'ay rien mien, que moy; et si en est la possession en partie manque et empruntee. Je me cultive et en courage, qui est le plus fort: et encores en fortune, pour y trouver dequoy me satisfaire, quand ailleurs tout m'abandonneroit.

Eleus Hippias ne se fournit pas seulement de science, pour au giron des muses se pouvoir joyeusement esquarter de toute autre compagnie au besoing: ny seulement de la cognoissance de la philosophie, pour apprendre a son ame de se contenter d'elle, et se passer virilement des commoditez qui luy viennent du dehors, quand le sort l'ordonne. Il fut si curieux, d'apprendre encore a faire sa cuisine, et son poil, ses robes, ses souliers, ses bragues, pour se fonder en soy, autant qu'il pourroit, et soustraire au secours estranger.

On jouyt bien plus librement, et plus gayement, des biens empruntez: quand ce n'est pas une jouyssance obligee et contrainte par le besoing: et qu'on a, et en sa volonte, et en sa fortune, la force et les moyens de s'en passer.

Je me connoy bien. Mais il m'est malaise d'imaginer nulle si pure liberalite de personne envers moy, nulle hospitalite si franche et gratuite, qui ne me semblast disgratiee, tyrannique, et teinte de reproche, si la necessite m'y avoit enchevestre. Comme le donner est qualite ambitieuse, et de prerogative, aussi est l'accepter qualite de summission. Tesmoin l'injurieux, et querelleux refus, que Bajazet feit des presents, que Temir luy envoyoit. Et ceux qu'on offrit de la part de l'Empereur Solyman, a l'Empereur de Calicut, le mirent en si grand despit, que non seulement il les refusa rudement: disant, que ny luy ny ses predecesseurs n'avoient accoustume de prendre: et que c'estoit leur office de donner: mais en outre feit mettre en un cul de fosse, les Ambassadeurs envoyez a cet effect.

Quand Thetis, dit Aristote, flatte Juppiter: quand les Lacedemoniens flattent les Atheniens: ils ne vont pas leur rafreschissant la memoire des biens, qu'ils leur ont faits, qui est tousjours odieuse: mais la memoire des bienfaicts qu'ils ont receuz d'eux. Ceux que je voy si familierement employer tout chacun et s'y engager: ne le feroient pas, s'ils scavouroient comme moy la douceur d'une pure liberte: et s'ils poisoient autant que doit poiser a un sage homme, l'engageure d'une obligation. Elle se paye a l'adventure quelquefois: mais elle ne se dissout jamais. Cruel garrotage, a qui ayme d'affranchir les coudees de sa liberte, en tout sens. Mes cognoissants, et au dessus et au dessous de moy, scavent, s'ils en ont jamais veu, de moins sollicitant, requerant, suppliant, ny moins chargeant sur autruy. Si je le suis, au dela de tout exemple moderne, ce n'est pas grande merveille: tant de pieces de mes moeurs y contribuants. Un peu de fierte naturelle: l'impatience du refus: contraction de mes desirs et desseins: inhabilite a toute sorte d'affaires: Et mes qualitez plus favories, l'oysivete, la franchise. Par tout cela, j'ay prins a haine mortelle, d'estre tenu ny a autre, ny par autre que moy. J'employe bien vivement, tout ce que je puis, a me passer: avant que j'employe la beneficence d'un autre, en quelque, ou legere ou poisante occasion ou besoing que ce soit.

40
Перейти на страницу:

Вы читаете книгу


Montaigne Michel de - Les Essais – Livre III Les Essais – Livre III
Мир литературы

Жанры

Фантастика и фэнтези

Детективы и триллеры

Проза

Любовные романы

Приключения

Детские

Поэзия и драматургия

Старинная литература

Научно-образовательная

Компьютеры и интернет

Справочная литература

Документальная литература

Религия и духовность

Юмор

Дом и семья

Деловая литература

Жанр не определен

Техника

Прочее

Драматургия

Фольклор

Военное дело