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Les Essais – Livre III - Montaigne Michel de - Страница 34


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Melanthius interroge ce qu'il luy sembloit de la tragedie de Dionysius: Je ne l'ay, dit-il, point veue, tant elle est offusquee de langage: Aussi la pluspart de ceux qui jugent les discours des grans, debvroient dire: Je n'ay point entendu son propos, tant il estoit offusque de gravite, de grandeur, et de majeste.

Antisthenes suadoit un jour aux Atheniens, qu'ils commandassent, que leurs asnes fussent aussi bien employez au labourage des terres, comme estoyent les chevaux: sur quoy il luy fut respondu, que cet animal n'estoit pas nay a un tel service: C'est tout un, repliqua il; il n'y va que de vostre ordonnance: car les plus ignorans et incapables hommes, que vous employez aux commandemens de vos guerres, ne laissent pas d'en devenir incontinent tres-dignes, par ce que vous les y employez.

A quoy touche l'usage de tant de peuples, qui canonizent le Roy, qu'ils ont faict d'entre eux, et ne se contentent point de l'honnorer, s'ils ne l'adorent. Ceux de Mexico, depuis que les ceremonies de son Sacre sont parachevees, n'osent plus le regarder au visage: ains comme s'ils l'avoient deifie par sa royaute, entre les serments qu'ils luy font jurer, de maintenir leur religion, leurs loix, leurs libertez, d'estre vaillant, juste et debonnaire: il jure aussi, de faire marcher le soleil en sa lumiere accoustumee: d'esgouster les nuees en temps opportun: courir aux rivieres leurs cours: et faire porter a la terre toutes choses necessaires a son peuple.

Je suis divers a cette facon commune: et me deffie plus de la suffisance, quand je la vois accompagnee de grandeur de fortune, et de recommandation populaire. Il nous fault prendre garde, combien c'est, de parler a son heure, de choisir son poinct, de rompre le propos, ou le changer, d'une authorite magistrale: de se deffendre des oppositions d'autruy, par un mouvement de teste, un sous-ris, ou un silence, devant une assistance, qui tremble dereverence et de respect.

Un homme de monstrueuse fortune, venant mesler son advis a certain leger propos, qui se demenoit tout laschement, en sa table, commenca justement ainsi: Ce ne peut estre qu'un menteur ou ignorant, qui dira autrement que, etc. Suyvez cette poincte philosophique, un poignart a la main.

Voicy un autre advertissement, duquel je tire grand usage. C'est qu'aux disputes et conferences, tous les mots qui nous semblent bons, ne doivent pas incontinent estre acceptez. La plus part des hommes sont riches d'une suffisance estrangere. Il peut bien advenir a tel, de dire un beau traict, une bonne responce et sentence, et la mettre en avant, sans en cognoistre la force. Qu'on ne tient pas tout ce qu'on emprunte, a l'adventure se pourra-il verifier par moy-mesme. Il n'y faut point tousjours ceder, quelque verite ou beaute qu'elle ayt. Ou il la faut combatre a escient, ou se tirer arriere, soubs couleur de ne l'entendre pas: pour taster de toutes parts, comment elle est logee en son autheur. Il peut advenir, que nous nous enferrons, et aydons au coup, outre sa portee. J'ay autrefois employe a la necessite et presse du combat, des revirades, qui ont faict faucee outre mon dessein, et mon esperance. Je ne les donnois qu'en nombre, on les recevoit en poix. Tout ainsi, comme, quand je debats contre un homme vigoureux; je me plais d'anticiper ses conclusions: je luy oste la peine de s'interpreter: j'essaye de prevenir son imagination imparfaicte encores et naissante: l'ordre et la pertinence de son entendement, m'advertit et menace de loing: de ces autres je fais tout le rebours, il ne faut rien entendre que par eux, ny rien presupposer. S'ils jugent en parolles universelles: Cecy est bon, cela ne l'est pas; et qu'ils rencontrent, voyez si c'est la fortune, qui rencontre pour eux.

Qu'ils circonscrivent et restreignent un peu leur sentence: Pourquoy c'est; par ou c'est. Ces jugements universels, que je voy si ordinaires, ne disent rien. Ce sont gents, qui saluent tout un peuple, en foulle et en troupe. Ceux qui en ont vraye cognoissance, le saluent et remarquent nommement et particulierement. Mais c'est une hazardeuse entreprinse. D'ou j'ay veu plus souvent que tous les jours, advenir que les esprits foiblement fondez, voulants faire les ingenieux a remarquer en la lecture de quelque ouvrage, le point de la beaute: arrester leur admiration, d'un si mauvais choix, qu'au lieu de nous apprendre l'excellence de l'autheur, ils nous apprennent leur propre ignorance. Cette exclamation est seure: Voyla qui est beau: oyant ouy une entiere page de Vergile. Par la se sauvent les fins. Mais d'entreprendre a le suivre par espaulettes, et de jugement expres et trie, vouloir remarquer par ou un bon autheur se surmonte: poisant les mots, les phrases, les inventions et ses diverses vertus, l'une apres l'autre: Ostez vous de la. Videndum est non modo, quid quisque loquatur, sedetiam, quid quisque sentiat, atque etiam qua de causa quisque sentiat . J'oy journellement dire a des sots, des mots non sots. Ils disent une bonne chose scachons jusques ou ils la cognoissent, voyons par ou ils la tiennent. Nous les aydons a employer ce beau mot, et cette belle raison, qu'ils ne possedent pas, ils ne l'ont qu'en garde: ils l'auront produicte a l'avanture, et a tastons, nous la leur mettons en credit et en prix.

Vous leur prestez la main. A quoy faire? Il ne vous en scavent nul gre, et en deviennent plus ineptes. Ne les secondez pas, laissez les aller: ils manieront cette matiere, comme gens qui ont peur de s'eschauder, ils n'osent luy changer d'assiete et de jour, n'y l'enfoncer. Croullez la tant soit peu; elle leur eschappe: ils vous la quittent, toute forte et belle qu'elle est. Ce sont belles armes: mais elles sont mal emmanchees. Combien de fois en ay-je veu l'experience? Or si vous venez a les esclaircir et confirmer, il vous saisissent et desrobent incontinent cet advantage de vostre interpretation: C'estoit ce que je voulois dire: voyla justement ma conception: si je ne l'ay ainsin exprime, ce n'est que faute de langue. Souflez. Il faut employer la malice mesme, a corriger cette fiere bestise. Le dogme d'Hegesias, qu'il ne faut ny hair, ny accuser: ains instruire: a de la raison ailleurs. Mais icy, c'est injustice et inhumanite de secourir et redresser celuy, qui n'en a que faire, et qui en vaut moins. J'ayme a les laisser embourber et empestrer encore plus qu'ils ne sont: et si avant, s'il est possible, qu'en fin ils se recognoissent.

La sottise et desreglement de sens, n'est pas chose guerissable par un traict d'advertissement. Et pouvons proprement dire de cette reparation, ce que Cyrus respond a celuy, qui le presse d'enhorter son ost, sur le point d'une bataille: Que les hommes ne se rendent pas courageux et belliqueux sur le champ, par une bonne harangue: non plus qu'on ne devient incontinent musicien, pour ouyr une bonne chanson. Ce sont apprentissages, qui ont a estre faicts avant la main, par longue et constante institution.

Nous devons ce soing aux nostres, et certe assiduite de correction et d'instruction: mais d'aller prescher le premier passant, et regenter l'ignorance ou ineptie du premier rencontre, c'est un usage auquel je veux grand mal. Rarement le fais-je, aux propos mesme qui se passent avec moy, et quitte plustost tout, que de venir a ses instructions reculees et magistrales. Mon humeur n'est propre, non plus a parler qu'a escrire, pour les principians. Mais aux choses qui se disent en commun, ou entre autres, pour fauces et absurdes que je les juge, je ne me jette jamais a la traverse, ny de parole ny de signe. Au demeurant rien ne me despite tant en la sottise, que, dequoy elle se plaist plus, que aucune raison ne se peut raisonnablement plaire.

C'est mal'heur, que la prudence vous deffend de vous satisfaire et fier de vous, et vous en envoye tousjours mal content et craintif: la ou l'opiniastrete et la temerite, remplissent leurs hostes d'esjouissance et d'asseurance. C'est au plus mal habiles de regarder les autres hommes par dessus l'espaule, s'en retournans tousjours du combat, pleins de gloire et d'allegresse. Et le plus souvent encore cette outrecuidance de langage et gayete de visage, leur donne gaigne, a l'endroit de l'assistance, qui est communement foible et incapable de bien juger, et discerner les vrays advantages. L'obstination et ardeur d'opinion, est la plus seure preuve de bestise. Est il rien certain, resolu, dedeigneux, contemplatif, serieux, grave, comme l'asne?

Pouvons nous pas mesler au tiltre de la conference et communication, les devis poinctus et coupez que l'alegresse et la privaute introduit entre les amis, gaussans et gaudissans plaisamment et vifvement les uns les autres? Exercice auquel ma gayete naturelle me rend assez propre: Et s'il n'est aussi tendu et serieux que cet autre exercice que je viens de dire, il n'est pas moins aigu et ingenieux, ny moins profitable, comme il sembloit a Lycurgus. Pour mon regard j'y apporte plus de liberte que d'esprit, et y ay plus d'heur que d'invention: mais je suis parfaict en la souffrance: car j'endure la revenche, non seulement aspre, mais indiscrete aussi, sans alteration. Et a la charge qu'on me fait, si je n'ay dequoy repartir brusquement sur le champ, je ne vay pas m'amusant a suivre cette poincte, d'une contestation ennuyeuse et lasche, tirant a l'opiniastrete: Je la laisse passer, et baissant joyeusement les oreilles, remets d'en avoir ma raison a quelque heure meilleure: Il n'est pas marchant qui tousjours gaigne. La plus part changent de visage, et de voix, ou la force leur faut: et par une importune cholere, au lieu de se venger, accusent leur foiblesse, ensemble et leur impatience. En cette gaillardise nous pincons par fois des cordes secrettes de nos imperfections, lesquelles, rassis, nous ne pouvons toucher sans offence: et nous entradvertissons utilement de nos deffauts.

Il y a d'autres jeux de main, indiscrets et aspres, a la Francoise: que je hay mortellement: J'ay la peau tendre et sensible: J'en ay veu en ma vie, enterrer deux Princes de nostre sang royal. Il fait laid se battre en s'esbatant.

Au reste, quand je veux juger de quelqu'un, je luy demande, combien il se contente de soy: jusques ou son parler ou sa besongne luy plaist. Je veux eviter ces belles excuses, Je le fis en me jouant:

Ablatum mediis opus est incudibus istud :

je n'y fus pas une heure: je ne l'ay reveu depuis. Or dis-je, laissons donc ces pieces, donnez m'en une qui vous represente bien entier, par laquelle il vous plaise qu'on vous mesure. Et puis: que trouvez vous le plus beau en vostre ouvrage? est-ce ou cette partie, ou cette cy? la grace, ou la matiere, ou l'invention, ou le jugement, ou la science. Car ordinairement je m'appercoy, qu'on faut autant a juger de sa propre besongne, que de celle d'autruy: Non seulement pour l'affection qu'on y mesle: mais pour n'avoir la suffisance de la cognoistre et distinguer. L'ouvrage de sa propre force, et fortune peult seconder l'ouvrier et le devancer outre son invention, et cognoissance. Pour moy, je ne juge la valeur d'autre besongne, plus obscurement que de la mienne: et loge les Essais tantost bas, tantost haut, fort inconstamment et doubteusement.

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