Выбери любимый жанр

Les Essais – Livre I - Montaigne Michel de - Страница 59


Изменить размер шрифта:

59

CHAPITRE XXXVIII De la solitude

LAISSONS à part cette longue comparaison de la vie solitaire à l'active: Et quant à ce beau mot, dequoy se couvre l'ambition et l'avarice, Que nous ne sommes pas naiz pour nostre particulier, ains pour le publicq; rapportons nous en hardiment à ceux qui sont en la danse; et qu'ils se battent la conscience, si au contraire, les estats, les charges, et cette tracasserie du monde, ne se recherche plustost, pour tirer du publicq son profit particulier. Les mauvais moyens par où on s'y pousse en nostre siecle, montrent bien que la fin n'envaut gueres. Respondons à l'ambition que c'est elle mesme qui nous donne goust de la solitude. Car que fuit elle tant que la societé? que cherche elle tant que ses coudées franches? Il y a dequoy bien et mal faire par tout: Toutesfois si le mot de Bias est vray, que la pire part c'est la plus grande, ou ce que dit l'Ecclesiastique , que de mille il n'en est pas un bon:

Rari quippe boni numero vix sunt totidem, quot

Thebarum portæ vel divitis ostia Nili,

la contagion est tres-dangereuse en la presse. Il faut ou imiter les vitieux, ou les haïr: Tous les deux sont dangereux; et de leur ressembler, par ce qu'ils sont beaucoup, et d'en haïr beaucoup par ce qu'ils sont dissemblables.

Et les marchands, qui vont en mer, ont raison de regarder, que ceux qui se mettent en mesme vaisseau, ne soyent dissolus, blasphemateurs, meschans: estimants telle societé infortunée.

Parquoy Bias plaisamment, à ceux qui passoient avec luy le danger d'une grande tourmente, et appelloient le secours des Dieux: Taisez vous, feit-il, qu'ils ne sentent point que vous soyez icy avec moy.

Et d'un plus pressant exemple: Albuquerque Vice-Roy en l'Inde, pour Emanuel Roy de Portugal, en un extreme peril de fortune de mer, print sur ses espaules un jeune garçon pour cette seule fin, qu'en la societé de leur peril, son innocence luy servist de garant, et de recommandation envers la faveur divine, pour le mettre à bord.

Ce n'est pas que le sage ne puisse par tout vivre content, voire et seul, en la foule d'un palais: mais s'il est à choisir, il en fuira, dit-il, mesmes la veue: Il portera s'il est besoing cela, mais s'il est en luy, il eslira cecy. Il ne luy semble point suffisamment s'estre desfait des vices, s'il faut encores qu'il conteste avec ceux d'autruy.

Charondas chastioit pour mauvais ceux qui estoient convaincus de hanter mauvaise compagnie.

Il n'est rien si dissociable et sociable que l'homme: l'un par son vice, l'autre par sa nature.

Et Antisthenes ne me semble avoir satisfait à celuy, qui luy reprochoit sa conversation avec les meschants, en disant, que les medecins vivent bien entre les malades. Car s'ils servent à la santé des malades, ils deteriorent la leur, par la contagion, la veuë continuelle, et pratique des maladies.

Or la fin, ce crois-je, en est tout'une, d'en vivre plus à loisir et à son aise. Mais on n'en cherche pas tousjours bien le chemin: Souvent on pense avoir quitté les affaires, on ne les a que changez. Il n'y a guere moins de tourment au gouvernement d'une famille que d'un estat entier: Où que l'ame soit empeschée, elle y est toute: Et pour estre les occupations domestiques moins importantes, elles n'en sont pas moins importunes. D'avantage, pour nous estre deffaits de la Cour et du marché, nous ne sommes pas deffaits des principaux tourmens de nostre vie.

ratio et prudentia curas,

Non locus effusi latè maris arbiter aufert.

L'ambition, l'avarice, l'irresolution, la peur et les concupiscences, ne nous abandonnent point pour changer de contrée:

Et post equitem sedet atra cura.

Elles nous suivent souvent jusques dans les cloistres, et dans les escoles de Philosophie. Ny les desers, ny les rochers creusez, ny la here, ny les jeusnes, ne nous en démeslent:

hæret lateri lethalis arundo.

On disoit à Socrates, que quelqu'un ne s'estoit aucunement amendé en son voyage: Je croy bien, dit-il, il s'estoit emporté avecques soy.

Quid terras alio calentes

Sole mutamus? patria quis exul

Se quoque fugit?

Si on ne se descharge premierement et son ame, du faix qui la presse, le remuement la fera fouler davantage; comme en un navire, les charges empeschent moins, quand elles sont rassises: Vous faictes plus de mal que de bien au malade de luy faire changer de place. Vous ensachez le mal en le remuant: comme les pals s'enfoncent plus avant, et s'affermissent en les branslant et secouant. Parquoy ce n'est pas assez de s'estre escarté du peuple; ce n'est pas assez de changer de place, il se faut escarter des conditions populaires, qui sont en nous: il se faut sequestrer et r'avoir de soy.

rupi jam vincula, dicas,

Nam luctata canis nodum arripit, attamen illi,

Cum fugit, à collo trahitur pars longa catenæ.

Nous emportons nos fers quand et nous: Ce n'est pas une entiere liberté, nous tournons encore la veuë vers ce que nous avons laissé; nous en avons la fantasie pleine.

Nisi purgatum est pectus, quæ prælia nobis

Atque pericula tunc ingratis insinuandum?

Quantæ conscindunt hominem cuppedinis acres

Sollicitum curæ, quantique perinde timores?

Quidve superbia, spurcitia, ac petulantia, quantas

Efficiunt clades, quid luxus desidiésque?

Nostre mal nous tient en l'ame: or elle ne se peut eschapper à elle mesme,

In culpa est animus, qui se non effugit unquam.

Ainsin il la faut ramener et retirer en soy: C'est la vraye solitude, et qui se peut joüir au milieu des villes et des cours des Roys; mais elle se jouyt plus commodément à part.

Or puis que nous entreprenons de vivre seuls, et de nous passer de compagnie, faisons que nostre contentement despende de nous: Desprenons nous de toutes les liaisons qui nous attachent à autruy: Gaignons sur nous, de pouvoir à bon escient vivre seuls, et y vivre à nostr'aise.

Stilpon estant eschappé de l'embrasement de sa ville, où il avoit perdu femme, enfans, et chevance; Demetrius Poliorcetes, le voyant en une si grande ruine de sa patrie, le visage non effrayé, luy demanda, s'il n'avoit pas eu du dommage; il respondit que non, et qu'il n'y avoit Dieu mercy rien perdu de sien. C'est ce que le Philosophe Antisthenes disoit plaisamment, Que l'homme se devoit pourveoir de munitions, qui flottassent sur l'eau, et peussent à nage avec luy eschapper du naufrage.

Certes l'homme d'entendement n'a rien perdu, s'il a soy mesme. Quand la ville de Nole fut ruinée par les Barbares, Paulinus qui en estoit Evesque, y ayant tout perdu, et leur prisonnier, prioit ainsi Dieu; Seigneur garde moy de sentir cette perte: car tu sçais qu'ils n'ont encore rien touché de ce qui est à moy. Les richesses qui le faisoyent riche, et les biens qui le faisoient bon, estoyent encore en leur entier. Voyla que c'est de bien choisir les thresors qui se puissent affranchir de l'injure: et de les cacher en lieu, où personne n'aille, et lequel ne puisse estre trahi que par nous mesmes. Il faut avoir femmes, enfans, biens, et sur tout de la santé, qui peut, mais non pas s'y attacher en maniere que nostre heur en despende. Il se faut reserver une arriereboutique, toute nostre, toute franche, en laquelle nous establissions nostre vraye liberté et principale retraicte et solitude. En cette-cy faut-il prendre nostre ordinaire entretien, de nous à nous mesmes, et si privé, que nulle accointance ou communication de chose estrangere y trouve place: Discourir et y rire, comme sans femme, sans enfans, et sans biens, sans train, et sans valetz: afin que quand l'occasion adviendra de leur perte, il ne nous soit pas nouveau de nous en passer. Nous avons une ame contournable en soy mesme; elle se peut faire compagnie, elle a dequoy assaillir et dequoy deffendre, dequoy recevoir, et dequoy donner: ne craignons pas en cette solitude, nous croupir d'oisiveté ennuyeuse,

In solis sis tibi turba locis.

La vertu se contente de soy: sans discipline, sans paroles, sans effects.

En noz actions accoustumees, de mille il n'en est pas une qui nous regarde. Celuy que tu vois grimpant contremont les ruines de ce mur, furieux et hors de soy, en bute de tant de harquebuzades: et cet autre tout cicatricé, transi et pasle de faim, deliberé de crever plustost que de luy ouvrir la porte; penses-tu qu'ils y soyent pour eux? pour tel à l'adventure, qu'ils ne virent onques, et qui ne se donne aucune peine de leur faict, plongé cependant en l'oysiveté et aux delices. Cettuy-cy tout pituiteux, chassieux et crasseux, que tu vois sortir apres minuict d'un estude, penses-tu qu'il cherche parmy les livres, comme il se rendra plus homme de bien, plus content et plus sage? nulles nouvelles. Il y mourra, ou il apprendra à la posterité la mesure des vers de Plaute, et la vraye orthographe d'un mot Latin. Qui ne contre-change volontiers la santé, le repos, et la vie, à la reputation et à la gloire? la plus inutile, vaine et fauce monnoye, qui soit en nostre usage: Nostre mort ne nous faisoit pas assez de peur, chargeons nous encores de celle de nos femmes, de noz enfans, et de nos gens. Noz affaires ne nous donnoyent pas assez de peine, prenons encores à nous tourmenter, et rompre la teste, de ceux de noz voisins et amis.

Vah! quemquamne hominem in animum instituere, aut

Parare, quod sit charius, que ipse est sibi?

La solitude me semble avoir plus d'apparence, et de raison, à ceux qui ont donné au monde leur aage plus actif et fleurissant, à l'exemple de Thales.

C'est assez vescu pour autruy, vivons pour nous au moins ce bout de vie: ramenons à nous, et à nostre aise nos pensées et nos intentions. Ce n'est pas une legere partie que de faire seurement sa retraicte; elle nous empesche assez sans y mesler d'autres entreprinses. Puis que Dieu nous donne loisir de disposer de nostre deslogement; preparons nous y; plions bagage; prenons de bon'heure congé de la compagnie; despétrons nous de ces violentes prinses, qui nous engagent ailleurs, et esloignent de nous. Il faut desnoüer ces obligations si fortes: et meshuy aymer cecy et cela, mais n'espouser rien que soy: C'est à dire, le reste soit à nous: mais non pas joint et colé en façon, qu'on ne le puisse desprendre sans nous escorcher, et arracher ensemble quelque piece du nostre. La plus grande chose du monde c'est de sçavoir estre à soy.

Il est temps de nous desnoüer de la societé, puis que nous n'y pouvons rien apporter. Et qui ne peut prester, qu'il se deffende d'emprunter. Noz forces nous faillent: retirons les, et resserrons en nous. Qui peut renverser et confondre en soy les offices de tant d'amitiez, et de la compagnie, qu'il le face. En cette cheute, qui le rend inutile, poisant, et importun aux autres, qu'il se garde d'estre importun à soy mesme, et poisant et inutile. Qu'il se flatte et caresse, et sur tout se regente, respectant et craignant sa raison et sa conscience: si qu'il ne puisse sans honte, broncher en leur presence. Rarum est enim, ut satis se quisque vereatur .

59
Перейти на страницу:

Вы читаете книгу


Montaigne Michel de - Les Essais – Livre I Les Essais – Livre I
Мир литературы

Жанры

Фантастика и фэнтези

Детективы и триллеры

Проза

Любовные романы

Приключения

Детские

Поэзия и драматургия

Старинная литература

Научно-образовательная

Компьютеры и интернет

Справочная литература

Документальная литература

Религия и духовность

Юмор

Дом и семья

Деловая литература

Жанр не определен

Техника

Прочее

Драматургия

Фольклор

Военное дело