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Les Essais – Livre I - Montaigne Michel de - Страница 24


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Non vultus instantis tyranni

Mente quatit solida, neque Auster

Dux inquieti turbidus Adriæ,

Nec fulminantis magna Jovis manus.

Elle est renduë maistresse de ses passions et concupiscences; maistresse de l'indulgence, de la honte, de la pauvreté, et de toutes autres injures de fortune. Gagnons cet advantage qui pourra: C'est icy la vraye et souveraine liberté, qui nous donne dequoy faire la figue à la force, et à l'injustice, et nous moquer des prisons et des fers.

in manicis, et

Compedibus, sævo te sub custode tenebo.

Ipse Deus simul atque volam, me solvet: opinor,

Hoc sentit, moriar. Mors ultima linea rerum est.

Nostre religion n'a point eu de plus asseuré fondement humain, que le mespris de la vie. Non seulement le discours de la raison nous y appelle; car pourquoy craindrions nous de perdre une chose, laquelle perduë ne peut estre regrettée? mais aussi puis que nous sommes menaçez de tant de façons de mort, n'y a il pas plus de mal à les craindre toutes, qu'à en soustenir une?

Que chaut-il, quand ce soit, puis qu'elle est inevitable? A celuy qui disoit à Socrates; Les trente tyrans t'ont condamné à la mort: Et nature, eux, respondit-il.

Quelle sottise, de nous peiner, sur le point du passage à l'exemption de toute peine!

Comme nostre naissance nous apporta la naissance de toutes choses: aussi fera la mort de toutes choses, nostre mort. Parquoy c'est pareille folie de pleurer de ce que d'icy à cent ans nous ne vivrons pas, que de pleurer de ce que nous ne vivions pas, il y a cent ans. La mort est origine d'une autre vie: ainsi pleurasmes nous, et ainsi nous cousta-il d'entrer en cette-cy: ainsi nous despouillasmes nous de nostre ancien voile, en y entrant.

Rien ne peut estre grief, qui n'est qu'une fois. Est-ce raison de craindre si long temps, chose de si brief temps? Le long temps vivre, et le peu de temps vivre est rendu tout un par la mort. Car le long et le court n'est point aux choses qui ne sont plus. Aristote dit, qu'il y a des petites bestes sur la riviere Hypanis, qui ne vivent qu'un jour. Celle qui meurt à huict heures du matin, elle meurt en jeunesse: celle qui meurt à cinq heures du soir, meurt en sa decrepitude. Qui de nous ne se mocque de voir mettre en consideration d'heur ou de malheur, ce moment de durée? Le plus et le moins en la nostre, si nous la comparons à l'eternité, ou encores à la duree des montaignes, des rivieres, des estoilles, des arbres, et mesmes d'aucuns animaux, n'est pas moins ridicule.

Mais nature nous y force. Sortez, dit-elle, de ce monde, comme vous y estes entrez. Le mesme passage que vous fistes de la mort à la vie, sans passion et sans frayeur, refaites le de la vie à la mort. Vostre mort est une des pieces de l'ordre de l'univers, c'est une piece de la vie du monde.

inter se mortales mutua vivunt,

Et quasi cursores vitaï lampada tradunt.

Changeray-je pas pour vous cette belle contexture des choses? C'est la condition de vostre creation; c'est une partie de vous que la mort: vous vous fuyez vous mesmes. Cettuy vostre estre, que vous jouyssez, est également party à la mort et à la vie. Le premier jour de vostre naissance vous achemine à mourir comme à vivre.

Prima, quæ vitam dedit, hora, carpsit.

Nascentes morimur, finisque ab origine pendet.

Tout ce que vous vivés, vous le desrobés à la vie: c'est à ses despens. Le continuel ouvrage de vostre vie, c'est bastir la mort. Vous estes en la mort, pendant que vous estes en vie: car vous estes apres la mort, quand vous n'estes plus en vie.

Ou, si vous l'aymez mieux ainsi, vous estes mort apres la vie: mais pendant la vie, vous estes mourant: et la mort touche bien plus rudement le mourant que le mort, et plus vivement et essentiellement.

Si vous avez faict vostre proufit de la vie, vous en estes repeu, allez vous en satisfaict.

Cur non ut plenus vitæ conviva recedis?

Si vous n'en n'avez sçeu user; si elle vous estoit inutile, que vous chaut-il de l'avoir perduë? à quoy faire la voulez vous encores?

Cur amplius addere quæris

Rursum quod pereat male, et ingratum occidat omne?

La vie n'est de soy ny bien ny mal: c'est la place du bien et du mal, selon que vous la leur faictes.

Et si vous avez vescu un jour, vous avez tout veu: un jour est égal à tous jours. Il n'y a point d'autre lumiere, ny d'autre nuict. Ce Soleil, cette Lune, ces Estoilles, cette disposition, c'est celle mesme que vos ayeuls ont jouye, et qui entretiendra vos arriere-nepveux.

Non alium videre patres: aliumve nepotes

Aspicient.

Et au pis aller, la distribution et varieté de tous les actes de ma comedie, se parfournit en un an. Si vous avez pris garde au branle de mes quatre saisons, elles embrassent l'enfance, l'adolescence, la virilité, et la vieillesse du monde. Il a joüé son jeu: il n'y sçait autre finesse, que de recommencer; ce sera tousjours cela mesme.

versamur ibidem, arque insumus usque,

Atque in se sua per vestigia volvitur annus.

Je ne suis pas deliberée de vous forger autres nouveaux passetemps.

Nam tibi præterea quod machiner, inveniamque

Quod placeat, nihil est, eadem sunt omnia semper.

Faictes place aux autres, comme d'autres vous l'ont faite.

L'equalité est la premiere piece de l'equité. Qui se peut plaindre d'estre comprins où tous sont comprins? Aussi avez vous beau vivre, vous n'en rabattrez rien du temps que vous avez à estre mort: c'est pour neant; aussi long temps serez vous en cet estat là, que vous craingnez, comme si vous estiez mort en nourrisse:

licet , quod vis, vivendo vincere secla,

Mors æterna tamen, nihilominus illa manebit.

Et si vous mettray en tel point, auquel vous n'aurez aucun mescontentement.

In vera nescis nullum fore morte alium te,

Qui possit vivus tibi te lugere peremptum,

Stansque jacentem.

Ny ne desirerez la vie que vous plaignez tant.

Nec sibi enim quisquam tum se vitamque requirit,

Nec desiderium nostri nos afficit ullum.

La mort est moins à craindre que rien, s'il y avoit quelque chose de moins, que rien.

multo mortem minus ad nos esse putandum,

Si minus esse potest quam quod nihil esse videmus.

Elle ne vous concerne ny mort ny vif. Vif, par ce que vous estes: Mort, par ce que vous n'estes plus.

D'avantage nul ne meurt avant son heure. Ce que vous laissez de temps, n'estoit non plus vostre, que celuy qui s'est passé avant vostre naissance: et ne vous touche non plus.

Respice enim quam nil ad nos ante acta vetustas

Temporis æterni fuerit.

Où que vostre vie finisse, elle y est toute. L'utilité du vivre n'est pas en l'espace: elle est en l'usage. Tel a vescu long temps, qui a peu vescu. Attendez vous y pendant que vous y estes. Il gist en vostre volonté, non au nombre des ans, que vous ayez assez vescu. Pensiez vous jamais n'arriver l'à, où vous alliez sans cesse? encore n'y a il chemin qui n'aye son issuë.

Et si la compagnie vous peut soulager, le monde ne va-il pas mesme train que vous allez?

omnia te vita perfuncta sequentur.

Tout ne branle-il pas vostre branle? y a-il chose qui ne vieillisse quant et vous? Mille hommes, mille animaux et mille autres creatures meurent en ce mesme instant que vous mourez.

Nam nox nulla diem, neque noctem aurora sequuta est,

Quæ non audierit mistos vagitibus ægris

Ploratus mortis comites et funeris atri.

A quoy faire y reculez vous, si vous ne pouvez tirer arriere? Vous en avez assez veu qui se sont bien trouvés de mourir, eschevant par là des grandes miseres. Mais quelqu'un qui s'en soit mal trouvé, en avez vous veu? Si est-ce grande simplesse, de condamner chose que vous n'avez esprouvée ny par vous ny par autre. Pourquoy te pleins-tu de moy et de la destinée? Te faisons nous tort? Est-ce à toy de nous gouverner, ou à nous toy? Encore que ton aage ne soit pas achevé, ta vie l'est. Un petit homme est homme entier comme un grand.

Ny les hommes ny leurs vies ne se mesurent à l'aune. Chiron refusa l'immortalité, informé des conditions d'icelle, par le Dieu mesme du temps, et de la durée, Saturne son pere: Imaginez de vray, combien seroit une vie perdurable, moins supportable à l'homme, et plus penible, que n'est la vie que je luy ay donnée. Si vous n'aviez la mort, vous me maudiriez sans cesse de vous en avoir privé. J'y ay à escient meslé quelque peu d'amertume, pour vous empescher; voyant la commodité de son usage, de l'embrasser trop avidement et indiscretement: Pour vous loger en ceste moderation, ny de fuir la vie, ny de refuir à la mort, que je demande de vous; j'ay temperé l'une et l'autre entre la douceur et l'aigreur.

J'apprins à Thales le premier de voz sages, que le vivre et le mourir estoit indifferent: par où, à celuy qui luy demanda, pourquoy donc il ne mouroit: il respondit tressagement, Pour ce qu'il est indifferent.

L'eau, la terre, l'air et le feu, et autres membres de ce mien bastiment, ne sont non plus instruments de ta vie, qu'instruments de ta mort. Pourquoy crains-tu ton dernier jour? Il ne confere non plus à ta mort que chascun des autres. Le dernier pas ne faict pas la lassitude: il la declaire. Tous les jours vont à la mort: le dernier y arrive.

Voila les bons advertissemens de nostre mere Nature. Or j'ay pensé souvent d'où venoit celà, qu'aux guerres le visage de la mort, soit que nous la voyons en nous ou en autruy, nous semble sans comparaison moins effroyable qu'en nos maisons: autrement ce seroit une armée de medecins et de pleurars: et elle estant tousjours une, qu'il y ait toutes-fois beaucoup plus d'asseurance parmy les gens de village et de basse condition qu'és autres. Je croy à la verité que ce sont ces mines et appareils effroyables, dequoy nous l'entournons, qui nous font plus de peur qu'elle: une toute nouvelle forme de vivre: les cris des meres, des femmes, et des enfans: la visitation de personnes estonnees, et transies: l'assistance d'un nombre de valets pasles et éplorés: une chambre sans jour: des cierges allumez: nostre chevet assiegé de medecins et de prescheurs: somme tout horreur et tout effroy autour de nous. Nous voyla des-ja ensevelis et enterrez. Les enfans ont peur de leurs amis mesmes quand ils les voyent masquez; aussi avons nous. Il faut oster le masque aussi bien des choses, que des personnes. Osté qu'il sera, nous ne trouverons au dessoubs, que cette mesme mort, qu'un valet ou simple chambriere passerent dernierement sans peur. Heureuse la mort qui oste le loisir aux apprests de tel equipage!

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