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Neige - Fermine Maxence - Страница 3


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– C'est ici, Maitre. Tous les haiku de mon fils sont offerts a votre jugement.

Le poete s'avanca avec une lenteur majestueuse et lut chacun des soixante-seize poemes de neige que Yuko Akita avait composes cette saison.

Lorsqu'il eut termine, le pretre vit que des larmes perlaient a ses paupieres.

– C'est magnifique. Je n'ai jamais rien lu de pareil. Je crois que l'empereur pourra faire de votre fils le poete officiel de la cour, lorsque je ne serai plus de ce monde.

Le pere de Yuko, au comble de la joie, se jeta aux pieds du haut dignitaire.

– Toutefois, ajouta ce dernier, je dois avouer que deux choses me chagrinent.

Le pretre releva la tete et tressaillit.

Qu'y-a-t-il? Ces haiku ne sont-ils pas les plus beaux depuis le grand Basho?

L'?uvre est incomparable, certes. Les mots sont puises a la source de la beaute. Les textes possedent une musicalite originale, mais ils sont denues de couleurs. L'ecriture de votre fils est desesperement blanche. Presque invisible. Si votre fils doit presenter ses ?uvres a l'empereur, il devra apprendre a colorer ses poemes.

Il est encore jeune, ne l'oubliez pas. Il n'a que dix-sept ans. Il apprendra. Mais quelle autre chose vous chagrine?

Le poete reclama une seconde tasse de the, s'assit sous la tonnelle devant la maison et regarda la montagne qui s'elevait dans la fraicheur printaniere. Puis il but une gorgee amere et dit:

– Pourquoi la neige?

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Lorsque Yuko revint de la montagne et apprit qu'un etranger avait lu ses poemes et, pire, les avait aimes, il entra dans une rage folle.

– Ce ne sont que des esquisses. Je ne connais encore rien de mon art.

– Mais deja on te demande a la cour! C'est un honneur, un grand honneur, lui repondit son pere.

– Non, dit Yuko. C'est une bassesse.

Lorsque le pretre lui eut rapporte les propos exacts du poete, Yuko s'enflamma.

– Que sait-il de la peinture et de ses couleurs? Il y a dix mille manieres d'ecrire, dix mille facons de peindre un poeme, mais pour moi toutes ressemblent a la neige. J'irai voir l'empereur lorsque j'aurai ecrit dix mille syllabes, dix mille syllabes d'une etonnante blancheur. Pas une de moins.

– Mais dix mille syllabes, cela fait pres de cinq cent quatre-vingt-dix haiku! A raison de soixante-dix-sept poemes par an, cela represente tout de meme sept annees de travail.

– Alors je me rendrai a la cour dans sept ans.

Il ne fut plus jamais question, entre le pere et le fils, de la venue du poete imperial.

Ce printemps, Yuko tint promesse et n'ecrivit aucun vers.

Il se contenta de respirer le parfum des petales de fleurs du cerisier dans le jardin vert.

L'ete, il respira les senteurs de miel de la foret sous le regard de la lune a la cime des montagnes.

Aux premiers jours d'orage, il trouva une chanterelle dans la mousse pres de la riviere.

Ce fut une annee immobile et parfumee.

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La peau des femmes

La peau qu 'elles cachent

Qu 'elle est chaude!

Sutejo

Le deuxieme hiver de poesie fut d'une blancheur eclatante. Il neigea plus que de raison.

Une nuit de decembre, la jeune femme de la fontaine le depucela. Sa peau avait le gout de la peche. Il prit le mamelon de son sein blanc dans la bouche et le suca comme un citron de lune. Il ne le lacha qu'au petit matin.

Durant l'hiver, Yuko ecrivit soixante-dix-sept haiku plus beaux, plus blancs les uns que les autres.

Les trois derniers furent:

Neige limpide
Passerelle du silence
Et de la beaute
Musique de neige
Grillon d'hiver
Sous mes pas
Femme accroupie
Urine et fait fondre
La neige

C'etait cela, un haiku.

Quelque chose de limpide. De spontane. De familier. Et d'une subtile ou prosaique beaute.

Cela n'evoquait pas grand-chose pour le commun des mortels. Mais pour une ame poetique, c'etait comme une passerelle vers la lumiere divine. Une passerelle vers la lumiere blanche des anges.

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Aux premiers jours du printemps, le soleil revint. Et avec lui le poete de la cour Meiji.

Cette fois il n'etait pas seul.

Avec lui voyageait une femme d'une beaute eblouissante, ferue de poesie. Elle avait la peau claire et des cheveux noirs comme la nuit. C'etait la protegee du maitre.

Le pere de Yuko les recut tous les deux, avec beaucoup de condescendance, sous la tonnelle en fleurs. Il leur offrit un the rare et delicieux.

Lorsque le maitre et la jeune femme eurent bu chacun une gorgee arriere, il leur dit:

– Mon fils se juge indigne de l'honneur que vous lui faites. Il pense que sept annees lui seront necessaires pour perfectionner son art avant de se rendre aupres de l'empereur. Comme il acheve seulement son deuxieme hiver de poesie, il reste encore cinq ans a attendre.

Le vieil homme regarda longuement les bords de la riviere argentee avant de prendre la parole.

– Cinq annees, c'est long. Je ne sais pas si l'empereur attendra jusque-la. Quand Yuko doit-il rentrer?

– A la tombee de la nuit.

– Nous allons l'attendre.

Lorsque Yuko revint de la montagne, il trouva les deux visiteurs dans son atelier. Il fut aussitot subjugue par la beaute ensorcelante de la jeune femme. Le visage du maitre ne lui inspira qu'indifference.

– Yuko, dit le poete de la cour, j'ai deux questions a te poser.

– Maitre, je vous ecoute.

– Pourquoi sept ans?

– Parce que c'est un chiffre magique.

Yuko surprit un leger sourire sur les levres de la jeune femme. Ses levres faisaient penser a la fraicheur d'un fruit. Il se retint pour ne pas y mordre a pleines dents.

– Alors pourquoi la neige, continua le Maitre?

– Parce que c'est un poeme, une calligraphie, une peinture, une danse et une musique tout a la fois.

Le vieil homme s'approcha de Yuko et souffla d'une haleine chaude:

– Elle est donc tout cela?

– Elle est bien plus encore.

– Tu es poete. Mais que connais-tu des autres arts? Sais-tu danser, peindre, calligraphier, composer?

Yuko ne put repondre. Il sentit une rougeur lui envahir le visage.

– Je suis poete. J'ecris des vers. Je n'ai pas besoin de savoir autre chose pour accomplir mon art.

Erreur. La poesie est avant tout la peinture, la choregraphie, la musique et la calligraphie de l'ame. Un poeme est un tableau, une danse, une musique et l'ecriture de la beaute tout a la fois. Si tu desires devenir un maitre, il te faudra posseder le don d'artiste absolu. Tes ?uvres sont merveilleusement belles, dansantes, musicales, mais aussi blanches que de la neige. Il leur manque la couleur, la peinture. Tu n'es pas peintre, Yuko. C'est cela qui te fait defaut. Simplement cela. Et c'est pourquoi, si tu ne m'ecoutes pas, ta poesie restera invisible aux yeux du monde.

Ce vieil homme l'ennuyait, mais la jeune fille a ses cotes etait belle et Yuko ne voulait pas la decevoir.

– Je vous ecoute, Maitre.

– Il existe, au sud du Japon, un homme qui possede l'art absolu. Il ecrit de merveilleux poemes, des pieces de musique, mais est avant tout un peintre. Cet homme admirable et unique se nomme Soseki. Il fut mon maitre. Va lui rendre visite de ma part. Je t'en conjure. Il t'apprendra le peu qui te manque.

A aucun moment de la conversation la protegee du poete de la cour Meiji ne prit la parole. Elle se contenta de devisager intensement Yuko, souriant et buvant de longues gorgees de the fumant.

– Ne tarde pas, dit le vieil homme, car Soseki est tres vieux et peut mourir bientot.

Yuko inclina le buste et conclut:

– Maitre, j'irai voir Soseki demain.

Puis il se tourna et salua maladroitement la jeune fille a ses cotes. Elle eut un petit rire moqueur, un petit rire comme un trille s'elevant dans les airs.

Il en concut aussitot pour elle une terrible haine et un immense amour.

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Le soir meme, il fit l'amour avec la jeune fille de la fontaine. Il la prit dans la neige, sous la ramure de cristal d'un cerisier. Ils recommencerent sept fois. Avec violence. Jusqu'a ce que son membre ressemble a un vieil artichaut et le sexe de la jeune fille a une striure violette.

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Le lendemain, a l'aube, Yuko quitta son village. Il fit ses adieux a son pere et a sa famille, puis il prit la route du sud.

Ce fut un voyage vers le soleil de son c?ur. La purete du monde et de sa lumiere s'offrait a son regard. En marchant lentement sur le chemin, Yuko ressentit une joie pure et etincelante. Il etait libre et heureux. Il emportait pour seul bagage l'or de sa foi en l'amour et en la poesie.

Mais ce qui devait arriver arriva. A trop vouloir l'aimer, il en perdit la peur de la neige. Et c'est elle qui faillit l'avaler de son amour.

Alors qu'il traversait les Alpes japonaises, Yuko se perdit corps et biens dans une terrible tempete de neige. Il fut victime de la colere des elements et ne dut son salut qu'a un abri de fortune.

Yuko se refugia sous le surplomb d'un rocher, a l'abri du vent, et la, transi de froid, a bout de forces, seul dans l'epaisseur des tenebres, seul dans la profondeur de la neige, seul dans le vertige de sa solitude, seul dans son silence, alors qu'il aurait du mourir cent fois de froid, de faim, de fatigue, de depit et de lassitude, il survecut.

Il survecut parce que ce qu'il vit, cette nuit-la, cette chose, cette magnifique chose venue elle aussi de l'autre cote du reel, cette chose sublime et belle etait la plus belle et la plus sublime image qu'il lui avait ete donne de voir de toute sa vie. Et cette image-la, il ne put jamais l'oublier.

15

Cette chose si belle, c'etait elle. Lorsqu'il s'allongea sous ce surplomb rocheux, elle etait la, devant ses yeux. Elle paraissait fragile comme un songe. C'etait une femme jeune, nue et blonde, de race europeenne. Elle etait morte. Elle dormait sous un metre de glace.

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