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Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry - Страница 64


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– Allons, se dit-il lorsqu'il fut seul, la soiree n'a pas ete trop mauvaise, et ce n'est pas mal inaugurer mon sejour ici.

Le lendemain, a l'heure convenue, arriva Mademoiselle Juliette. La soiree se passa seulement en explications. Juliette avait appris la recente rupture de Rodolphe avec cette fille aux yeux bleus qu'il avait tant aimee; elle savait qu'apres l'avoir quittee deja une fois, Rodolphe l'avait reprise, et elle craignait d'etre la victime d'un nouveau revenez-y de l'amour.

– C'est que, voyez-vous, ajouta-t-elle avec un joli geste de mutinerie, je n'ai point du tout envie de jouer un role ridicule. Je vous previens que je suis tres-mechante; une fois maitresse ici, et elle souligna par un regard l'intention qu'elle donnait au mot, j'y reste et ne cede point ma place.

Rodolphe appela toute son eloquence a la rescousse pour la convaincre que ses craintes n'etaient point fondees, et la jeune femme ayant de son cote bon desir d'etre convaincue, ils finirent par s'entendre. Seulement, ils ne s'entendirent plus quand sonna minuit; car Rodolphe voulait que Juliette restat, et celle-ci pretendit s'en aller.

– Non, lui dit-elle comme il insistait. Pourquoi tant se presser? Nous arriverons bien toujours ou nous devons arriver, a moins que vous ne vous arretiez en route; je reviendrai demain.

Et elle revint ainsi tous les soirs pendant une semaine, pour s'en retourner de meme quand sonnait minuit.

Ces lenteurs n'ennuyaient point trop Rodolphe. En amour ou meme en caprice, il etait de cette ecole de voyageurs qui n'ont jamais grand'hate d'arriver, et qui, a la route droite menant au but directement, preferent les sentiers perdus qui allongent le voyage et le rendent pittoresque. Cette petite preface sentimentale eut pour resultat d'entrainer d'abord Rodolphe plus loin qu'il ne voulait aller. Et c'etait sans doute pour l'amener a ce point ou le caprice, muri par la resistance qu'on lui oppose, commence a ressembler a de l'amour, que Mademoiselle Juliette avait employe ce stratageme.

– A chaque nouvelle visite qu'elle faisait a Rodolphe, Juliette remarquait un ton de sincerite plus prononce dans ce qu'il lui disait. Il eprouvait, lorsqu'elle etait un peu en retard, de ces impatiences symptomatiques qui enchantaient la jeune fille; et il lui ecrivait meme des lettres dont le langage avait de quoi lui faire esperer qu'elle deviendrait prochainement sa maitresse legitime .

Comme Marcel, qui etait son confident, avait une fois surpris une des epitres de Rodolphe, il lui dit en riant:

– Est-ce du style, ou bien penses-tu reellement ce que tu dis la?

– Vraiment oui, je le pense, repondit Rodolphe, et j'en suis bien un peu etonne; mais cela est ainsi. J'etais, il y a huit jours, dans une situation d'esprit tres-triste. Cette solitude et ce silence, qui avaient succede si brutalement aux tempetes de mon ancien menage, m'epouvantaient horriblement; mais Juliette est arrivee presque subitement. J'ai entendu resonner a mon oreille les fanfares d'une gaiete de vingt ans. J'ai eu devant moi un frais visage, des yeux pleins de sourire, une bouche pleine de baisers, et je me suis tout doucement laisse entrainer a suivre cette pente du caprice qui m'aura peut-etre amene a l'amour. J'aime a aimer.

Cependant Rodolphe ne tarda pas a s'apercevoir qu'il ne tenait plus guere qu'a lui d'amener une conclusion a ce petit roman; et c'est alors qu'il avait imagine de copier dans Shakspeare la mise en scene des amours de Romeo et Juliette . Sa future maitresse avait trouve l'idee amusante et consentit a se mettre de moitie dans la plaisanterie.

C'etait le soir meme ou ce rendez-vous etait fixe que Rodolphe rencontra le philosophe Colline, comme il venait d'acheter cette echelle de soie en corde qui devait lui servir a escalader le balcon de Juliette. Le marchand d'oiseaux auquel il s'etait adresse n'ayant point de rossignol, Rodolphe y substitua un pigeon, qui, lui assura-t-on, chantait tous les matins, au lever de l'aube.

Rentre chez lui, le poete fit cette reflexion qu'une ascension sur une echelle de corde n'etait point chose facile, et qu'il etait bon de faire une petite repetition de la scene du balcon, s'il ne voulait pas, outre les chances d'une chute, courir le risque de se montrer ridicule et maladroit aux yeux de celle qui allait l'attendre. Ayant attache son echelle a deux clous, solidement enfonces dans le plafond, Rodolphe employa les deux heures qui lui restaient a faire de la gymnastique; et, apres un nombre infini de tentatives, il parvint tant bien que mal a pouvoir franchir une dizaine d'echelons.

– Allons, c'est bien, se dit-il, je suis maintenant sur de mon affaire, et d'ailleurs, si je restais en chemin l'amour me donnerait des ailes .

Et, charge de son echelle et de sa cage a pigeon, il se rendit chez Juliette qui habitait dans son voisinage. Sa chambre etait situee au fond d'un petit jardin et possedait bien, en effet, une espece de balcon. Mais cette chambre etait au rez-de-chaussee, et ce balcon pouvait s'enjamber le plus facilement du monde.

Aussi Rodolphe fut-il tout atterre lorsqu'il s'apercut de cette disposition locale qui mettait a neant son poetique projet d'escalade.

– C'est egal, dit-il a Juliette, nous pourrons toujours executer l'episode du balcon. Voila un oiseau qui nous eveillera demain par sa voix melodieuse, et nous avertira du moment precis ou nous devrons nous separer l'un de l'autre avec desespoir. Et Rodolphe accrocha la cage dans un angle de la chambre.

Le lendemain, a cinq heures du matin, le pigeon fut parfaitement exact, et remplit la chambre d'un roucoulement prolonge qui aurait reveille les deux amants s'ils avaient dormi.

– Eh bien, dit Juliette, voila le moment d'aller sur le balcon et de nous faire des adieux desesperes; qu'en penses-tu?

– Le pigeon avance , dit Rodolphe; nous sommes en novembre, le soleil ne se leve qu'a midi.

– C'est egal, dit Juliette, je me leve, moi.

– Tiens! Pourquoi faire?

– J'ai l'estomac creux, et je ne te cacherai pas que je mangerais bien un peu.

– C'est extraordinaire l'accord qui regne dans nos sympathies, j'ai egalement une faim atroce, dit Rodolphe en se levant aussi et en s'habillant en toute hate.

Juliette avait deja allume du feu, et cherchait dans son buffet si elle ne trouverait rien; Rodolphe l'aidait dans ses recherches.

– Tiens, dit-il, des oignons!

– Et du lard, dit Juliette.

– Et du beurre.

– Et du pain.

– Helas! C'etait tout!

Pendant ces recherches, le pigeon optimiste et insoucieux chantait sur son perchoir.

Romeo regarda Juliette, Juliette regarda Romeo; tous deux regarderent le pigeon.

Ils ne s'en dirent pas davantage. Le sort du pigeon-pendule etait fixe; il en aurait appele en cassation que c'eut ete peines perdues, la faim est une si cruelle conseillere.

Rodolphe avait allume du charbon, et faisait revenir du lard dans le beurre fremissant; il avait l'air grave et solennel.

Juliette epluchait des oignons dans une attitude melancolique.

Le pigeon chantait toujours, c'etait sa Romance du saule .

A ces lamentations se joignit la chanson du beurre dans la casserole.

Cinq minutes apres, le beurre chantait encore; mais, pareil aux templiers , le pigeon ne chantait plus.

Romeo et Juliette avaient accommode leur pendule a la crapaudine.

– Il avait une jolie voix, disait Juliette et se mettant a table.

– Il etait bien tendre, fit Romeo en decoupant son reveille-matin parfaitement rissole.

Et les deux amants se regarderent et se surprirent ayant chacun une larme dans les yeux.

…Hypocrites, c'etaient les oignons qui les faisaient pleurer!

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