Выбери любимый жанр

Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry - Страница 55


Изменить размер шрифта:

55

– Mossieu , dit-il tout essouffle, l'artisse du sixieme a de l'argent! Vous savez, ce grand qui me rit au nez quand je lui porte la quittance.

– Oui, dit le proprietaire, celui qui a eu l'audace de m'emprunter de l'argent pour me donner un a-compte. Il a conge.

– Oui, monsieur. Mais il est cousu d'or aujourd'hui, ca m'a brule les yeux tout a l'heure. Il donne des fetes… C'est le bon moment…

– En effet, dit le proprietaire, j'irai moi-meme tantot.

Madame Sidonie, qui se trouvait chez elle quand on lui apporta la lettre de Marcel, envoya sur-le-champ sa femme de chambre remettre la lettre adressee a Mademoiselle Musette.

Celle-ci habitait alors un charmant appartement dans la Chaussee-D 'Antin. Au moment ou on lui remit la lettre de Marcel, elle etait en compagnie, et avait precisement, pour le meme soir, un grand diner de ceremonie.

– En voila un miracle! s'ecria Musette en riant comme une folle.

– Qu'est-ce qu'il y a donc? Lui demanda un beau jeune homme roide comme une statuette.

– C'est une invitation a diner, fit la jeune femme. Hein! Comme ca se trouve?

– Ca se trouve mal, dit le jeune homme.

– Pourquoi ca? fit Musette.

– Comment!… penseriez-vous a aller a ce diner?

– Je le crois bien que j'y pense… Arrangez-vous comme vous voudrez.

– Mais, ma chere, cependant il n'est pas convenable… vous irez une autre fois.

– Ah! C'est joli, ca! Une autre fois! C'est une ancienne connaissance, Marcel, qui m'invite a diner, et c'est assez extraordinaire pour que j'aille voir ca en face! Une autre fois! Mais c'est rare comme les eclipses, les diners serieux dans cette maison-la!

– Comment! Vous nous manquez de parole pour aller voir cette personne, dit le jeune homme, et c'est a moi que vous le dites!…

– A qui voulez-vous que je le dise donc? Au grand turc? ca ne le regarde pas, cet homme.

– Mais c'est une franchise singuliere.

– Vous savez bien que je ne fais rien comme les autres, repliqua Musette.

– Mais que penserez-vous de moi si je vous laisse aller, sachant ou vous allez? Songez-y, Musette, pour moi, pour vous, cela est bien inconvenant: il faut vous excuser pres de ce jeune homme…

– Mon cher Monsieur Maurice, dit Mademoiselle Musette d'une voix tres-ferme, vous me connaissiez avant que de me prendre; vous saviez que j'etais pleine de caprices, et que jamais ame qui vive n'a pu se vanter de m'en avoir fait rentrer un.

– Demandez-moi ce que vous voudrez… dit Maurice, mais cela!… Il y a caprice… et caprice…

– Maurice, j'irai chez Marcel: j'y vais, ajouta-t-elle en mettant son chapeau. Vous me quitterez si vous voulez; mais c'est plus fort que moi; c'est le meilleur garcon du monde, et le seul que j'aie jamais aime. Si son c?ur avait ete en or, il l'aurait fait fondre pour me donner des bagues. Pauvre garcon! dit-elle en montrant sa lettre… voyez, des qu'il a un peu de feu, il m'invite a venir me chauffer. Ah! s'il n'etait pas si paresseux et s'il n'y avait pas eu de velours et de soieries dans les magasins!!! J'etais bien heureuse avec lui; il avait le talent de me faire souffrir, et c'est lui qui m'a donne le nom de Musette, a cause de mes chansons. Au moins, en allant chez lui, vous etes sur que je reviendrai aupres de vous… si vous ne me fermez pas la porte au nez.

– Vous ne pourriez pas avouer plus franchement que vous ne m'aimez pas, dit le jeune homme.

– Allons donc, mon cher Maurice, vous etes trop homme d'esprit pour que nous engagions la-dessus une discussion serieuse. Vous m'avez comme on a un beau cheval dans une ecurie; moi, je vous aime… parce que j'aime le luxe, le bruit des fetes, tout ce qui resonne et tout ce qui rayonne; ne faisons point de sentiment, ce serait ridicule et inutile.

– Au moins, laissez-moi aller avec vous.

– Mais vous ne vous amuserez pas du tout, fit Musette, et vous nous empecherez de nous amuser. Songez donc qu'il va m'embrasser, ce garcon, necessairement.

– Musette, dit Maurice, avez-vous souvent trouve des gens aussi accommodants que moi?

– Monsieur le vicomte, repliqua Musette, un jour que je me promenais en voiture aux Champs-Elysees avec lord, j'ai rencontre Marcel et son ami Rodolphe qui etaient a pied, tres-mal mis tous deux, crottes comme des chiens de berger, et fumant leur pipe. Il y avait trois mois que je n'avais vu Marcel, et il m'a semble que mon c?ur allait sauter par la portiere. J'ai fait arreter la voiture, et pendant une demi-heure j'ai cause avec Marcel devant tout Paris qui passait la en equipage. Marcel m'a offert des gateaux de Nanterre et un bouquet de violette d'un sou, que j'ai mis a ma ceinture. Quand il m'a eu quittee, lord voulait le rappeler pour l'inviter a diner avec nous. Je l'ai embrasse pour la peine. Et voila mon caractere, mon cher Monsieur Maurice; si ca ne vous plait pas, il faut le dire tout de suite, je vais prendre mes pantoufles et mon bonnet de nuit.

– C'est donc quelquefois une bonne chose que d'etre pauvre! dit le vicomte Maurice avec un air plein de tristesse envieuse.

– Eh! Non, fit Musette: si Marcel etait riche, je ne l'aurais jamais quitte.

– Allez donc, fit le jeune homme en lui serrant la main. Vous avez mis votre nouvelle robe, ajouta-t-il, elle vous sied a merveille.

– Au fait, c'est vrai, dit Musette; c'est comme un pressentiment que j'ai eu ce matin. Marcel en aura l'etrenne. Adieu! fit-elle, je m'en vais manger un peu du pain beni de la gaiete.

Musette avait ce jour-la une ravissante toilette; jamais reliure plus seductrice n'avait enveloppe le poeme de sa jeunesse et de sa beaute. Au reste, Musette possedait instinctivement le genie de l'elegance. En arrivant au monde, la premiere chose qu'elle avait cherchee du regard avait du etre un miroir pour s'arranger dans ses langes; et avant d'aller au bapteme, elle avait deja commis le peche de coquetterie. Au temps ou sa position avait ete des plus humbles, quand elle en etait encore reduite aux robes d'indienne imprimee, aux petits bonnets a pompons et aux souliers de peau de chevre, elle portait a ravir ce pauvre et simple uniforme des grisettes. Ces jolies filles moitie abeilles, moitie cigales, qui travaillaient en chantant toute la semaine, ne demandaient a Dieu qu'un peu de soleil le dimanche, faisaient vulgairement l'amour avec le c?ur, et se jetaient quelquefois par la fenetre. Race disparue maintenant, grace a la generation actuelle des jeunes gens: generation corrompue et corruptrice, mais par-dessus tout vaniteuse, sotte et brutale. Pour le plaisir de faire de mechants paradoxes, ils ont raille ces pauvres filles a propos de leurs mains mutilees par les saintes cicatrices du travail, et elles n'ont bientot plus gagne assez pour s'acheter de la pate d'amandes. Peu a peu ils sont parvenus a leur inoculer leur vanite et leur sottise, et c'est alors que la grisette a disparu. C'est alors que naquit la lorette. Race hybride, creatures impertinentes, beautes mediocres, demi-chair, demi-onguents, dont le boudoir est un comptoir ou elles debitent des morceaux de leur c?ur, comme on ferait des tranches de rosbif. La plupart de ces filles, qui deshonorent le plaisir et sont la honte de la galanterie moderne, n'ont point toujours l'intelligence des betes dont elles portent les plumes sur leurs chapeaux. S'il leur arrive par hasard d'avoir, non point un amour, pas meme un caprice, mais un desir vulgaire, c'est au benefice de quelque bourgeois saltimbanque que la foule absurde entoure et acclame dans les bals publics, et que les journaux, courtisans de tous les ridicules, celebrent par leurs reclames. Bien qu'elle fut forcee de vivre dans ce monde, Musette n'en avait point les m?urs ni les allures; elle n'avait point la servilite cupide, ordinaire chez ces creatures qui ne savent lire que bareme et n'ecrivent qu'en chiffres. C'etait une fille intelligente et spirituelle, ayant dans les veines quelques gouttes du sang de Manon; et, rebelle a toute chose imposee, elle n'avait jamais pu ni su resister a un caprice, quelles que dussent en etre les consequences.

Marcel avait ete vraiment le seul homme qu'elle eut aime. C'etait du moins le seul pour qui elle avait reellement souffert, et il avait fallu toute l'opiniatrete des instincts qui l'attiraient vers «tout ce qui rayonne et tout ce qui resonne» pour qu'elle le quittat. Elle avait vingt ans, et pour elle le luxe etait presque une question de sante. Elle pouvait bien s'en passer quelque temps, mais elle ne pouvait y renoncer completement. Connaissant son inconstance, elle n'avait jamais voulu consentir a mettre a son c?ur le cadenas d'un serment de fidelite. Elle avait ete ardemment aimee par beaucoup de jeunes gens pour qui elle avait eu elle-meme des gouts tres-vifs; et toujours elle procedait envers eux avec une probite pleine de prevoyance; les engagements qu'elle contractait etaient simples, francs et rustiques comme les declarations d'amour des paysans de Moliere. Vous me voulez bien et je vous veux aussi; tope, et faisons la noce. Dix fois, si elle eut voulu, Musette aurait trouve une position stable, ce qu'on appelle un avenir; mais elle ne croyait guere a l'avenir, et professait a son egard le scepticisme du figaro.

– Demain, disait-elle parfois, c'est une fatuite du calendrier; c'est un pretexte quotidien que les hommes ont invente pour ne point faire leurs affaires aujourd'hui. Demain, c'est peut-etre un tremblement de terre. A la bonne heure, aujourd'hui, c'est la terre ferme.

Un jour, un galant homme, avec qui elle etait restee pres de six mois, et qui etait devenu eperdument amoureux d'elle, lui proposa serieusement de l'epouser. Musette lui avait jete un grand eclat de rire au nez a cette proposition.

– Moi, mettre ma liberte en prison dans un contrat de mariage? Jamais! dit-elle.

– Mais je passe ma vie a trembler de la crainte de vous perdre.

– Vous me perdriez bien plus si j'etais votre femme, repondit Musette. Ne parlons plus de cela. Je ne suis pas libre d'ailleurs, ajouta-t-elle, en songeant sans doute a Marcel.

Ainsi elle traversait sa jeunesse, l'esprit flottant a tous les vents de l'imprevu, faisant beaucoup d'heureux et se faisant presque heureuse elle-meme. Le vicomte Maurice, avec qui elle etait en ce moment, avait beaucoup de peine a se faire a ce caractere indomptable, ivre de liberte; et ce fut dans une impatience oxydee de jalousie qu'il attendit le retour de Musette apres l'avoir vue partir pour aller chez Marcel.

– Y restera-t-elle? Se demanda toute la soiree le jeune homme en s'enfoncant ce point d'interrogation dans le c?ur.

55
Перейти на страницу:

Вы читаете книгу


Murger Henry - Sc?nes De La Vie De Boh?me Sc?nes De La Vie De Boh?me
Мир литературы

Жанры

Фантастика и фэнтези

Детективы и триллеры

Проза

Любовные романы

Приключения

Детские

Поэзия и драматургия

Старинная литература

Научно-образовательная

Компьютеры и интернет

Справочная литература

Документальная литература

Религия и духовность

Юмор

Дом и семья

Деловая литература

Жанр не определен

Техника

Прочее

Драматургия

Фольклор

Военное дело