Выбери любимый жанр

Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry - Страница 52


Изменить размер шрифта:

52

– Mon cher, lui repondit Lazare, ta declaration d'amour etait ta demission d'artiste. Nous resterons tes amis si tu veux, mais nous ne serons plus tes associes. Fais du metier tout a ton aise; pour moi, tu n'es plus un sculpteur, tu es un gacheur de platre. Il est vrai que tu pourras boire du vin, mais nous, qui continuerons a boire notre eau et a manger notre pain de munition, nous resterons des artistes.

Quoi qu'en eut dit Lazare, Jacques resta un artiste. Mais pour conserver Francine aupres de lui, il se livrait, quand les occasions se presentaient, a des travaux productifs. C'est ainsi qu'il travailla longtemps dans l'atelier de l'ornemaniste Romagnesi. Habile dans l'execution, ingenieux dans l'invention, Jacques aurait pu, sans abandonner l'art serieux, acquerir une grande reputation dans ces compositions de genre qui sont devenues un des principaux elements du commerce de luxe. Mais Jacques etait paresseux comme tous les vrais artistes, et amoureux a la facon des poetes. La jeunesse, en lui, s'etait eveillee tardive, mais ardente; et avec un pressentiment de sa fin prochaine, il voulait tout entiere l'epuiser entre les bras de Francine. Aussi il arriva souvent que les bonnes occasions de travail venaient frapper a sa porte, sans que Jacques voulut y repondre, parce qu'il aurait fallu se deranger, et qu'il se trouvait trop bien a rever aux lueurs des yeux de son amie.

Lorsque Francine fut morte, le sculpteur alla revoir ses anciens amis les Buveurs . Mais l'esprit de Lazare dominait dans ce cercle, ou chacun des membres vivait petrifie dans l'egoisme de l'art. Jacques n'y trouva pas ce qu'il venait y chercher. On ne comprenait guere son desespoir, qu'on voulait calmer par des raisonnements; et voyant ce peu de sympathie, Jacques prefera isoler sa douleur plutot que de la voir exposee a la discussion. Il rompit donc completement avec les Buveurs d'eau et s'en alla vivre seul.

Cinq ou six jours apres l'enterrement de Francine, Jacques alla trouver un marbrier du cimetiere Montparnasse, et lui offrit de conclure avec lui le marche suivant: le marbrier fournirait au tombeau de Francine un entourage que Jacques se reservait de dessiner et donnerait en outre a l'artiste un morceau de marbre blanc, moyennant quoi Jacques se mettrait pendant trois mois a la disposition du marbrier, soit comme ouvrier tailleur de pierres, soit comme sculpteur. Le marchand de tombeaux avait alors plusieurs commandes extraordinaires; il alla visiter l'atelier de Jacques, et, devant plusieurs travaux commences, il acquit la preuve que le hasard qui lui livrait Jacques etait une bonne fortune pour lui. Huit jours apres, la tombe de Francine avait un entourage, au milieu duquel la croix de bois avait ete remplacee par une croix de pierre, avec le nom grave en creux.

Jacques avait heureusement affaire a un honnete homme, qui comprit que cent kilogrammes de fer fondu et trois pieds carres de marbre des Pyrenees ne pouvaient point payer trois mois de travaux de Jacques, dont le talent lui avait rapporte plusieurs milliers d'ecus. Il offrit a l'artiste de l'attacher a son entreprise, moyennant un interet, mais Jacques ne consentit point. Le peu de variete des sujets a traiter repugnait a sa nature inventive; d'ailleurs, il avait ce qu'il voulait, un gros morceau de marbre, des entrailles duquel il voulait faire sortir un chef-d'?uvre qu'il destinait a la tombe de Francine.

Au commencement du printemps, la situation de Jacques devint meilleure: son ami le medecin le mit en relation avec un grand seigneur etranger qui venait se fixer a Paris, et y faisait construire un magnifique hotel dans un des plus beaux quartiers. Plusieurs artistes celebres avaient ete appeles a concourir au luxe de ce petit palais. On commanda a Jacques une cheminee de salon. Il me semble encore voir les cartons de Jacques; c'etait une chose charmante: tout le poeme de l'hiver etait raconte dans ce marbre qui devait servir de cadre a la flamme. L'atelier de Jacques etant trop petit, il demanda et obtint, pour executer son ?uvre, une piece dans l'hotel encore inhabite. On lui avanca meme une assez forte somme sur le prix convenu de son travail. Jacques commenca par rembourser a son ami, le medecin l'argent que celui-ci lui avait prete lorsque Francine etait morte; puis il courut au cimetiere, pour y faire cacher sous un champ de fleurs la terre ou reposait sa maitresse.

Mais le printemps etait venu avant Jacques, et sur la tombe de la jeune fille mille fleurs croissaient au hasard parmi l'herbe verdoyante. L'artiste n'eut pas le courage de les arracher, car il pensa que ces fleurs renfermaient quelque chose de son amie. Comme le jardinier lui demandait ce qu'il devait faire des roses et des pensees qu'il avait apportees, Jacques lui ordonna de les planter sur une fosse voisine nouvellement creusee, pauvre tombe d'un pauvre, sans cloture, et n'ayant pour signe de reconnaissance qu'un morceau de bois pique en terre, et surmonte d'une couronne de fleurs en papier noirci, pauvre offrande de la douleur d'un pauvre. Jacques sortit du cimetiere tout autre qu'il etait entre. Il regardait avec une curiosite pleine de joie ce beau soleil printanier, le meme qui avait tant de fois dore les cheveux de Francine lorsqu'elle courait dans la campagne, fauchant les pres avec ses blanches mains. Tout un essaim de bonnes pensees chantait dans le c?ur de Jacques. En passant devant un petit cabaret du boulevard exterieur, il se rappela qu'un jour, ayant ete surpris par l'orage, il etait entre dans ce bouchon avec Francine, et qu'ils y avaient dine. Jacques entra et se fit servir a diner sur la meme table. On lui donna du dessert dans une soucoupe a vignettes; il reconnut la soucoupe et se souvint que Francine etait restee une demie heure a deviner le rebus qui y etait peint; et il se ressouvint aussi d'une chanson qu'avait chantee Francine, mise en belle humeur par un petit vin violet, qui ne coute pas bien cher, et qui contient plus de gaiete que de raisin. Mais cette crue de doux souvenirs reveillait son amour sans reveiller sa douleur. Accessible a la superstition, comme tous les esprits poetiques et reveurs, Jacques s'imagina que c'etait Francine qui, en l'entendant marcher tout a l'heure aupres d'elle, lui avait envoye cette bouffee de bons souvenirs a travers sa tombe, et il ne voulut pas les mouiller d'une larme. Et il sortit du cabaret, pied leste, front haut, ?il vif, c?ur battant, presque un sourire aux levres, et murmurant en chemin ce refrain de la chanson de Francine:

L'amour rode dans mon quartier,

Il faut tenir ma porte ouverte.

Ce refrain dans la bouche de Jacques, c'etait encore un souvenir, mais aussi c'etait deja une chanson; et peut-etre, sans s'en douter, Jacques fit-il ce soir-la le premier pas dans ce chemin de transition qui de la tristesse mene a la melancolie, et de la a l'oubli. Helas! Quoi qu'on veuille et quoi qu'on fasse, l'eternelle et juste loi de la mobilite le veut ainsi.

De meme que les fleurs qui, nees peut-etre du corps de Francine, avaient pousse sur sa tombe, des seves de jeunesse fleurissaient dans le c?ur de Jacques, ou les souvenirs de l'amour ancien eveillaient de vagues aspirations vers de nouvelles amours. D'ailleurs, Jacques etait de cette race d'artistes et de poetes qui font de la passion un instrument de l'art et de la poesie, et dont l'esprit n'a d'activite qu'autant qu'il est mis en mouvement par les forces motrices du c?ur. Chez Jacques, l'invention etait vraiment fille du sentiment, et il mettait une parcelle de lui-meme dans les plus petites choses qu'il faisait. Il s'apercut que les souvenirs ne lui suffisaient plus, et que, pareil a la meule qui s'use elle-meme quand le grain lui manque, son c?ur s'usait faute d'emotion. Le travail n'avait plus de charmes pour lui; l'invention, jadis fievreuse et spontanee, n'arrivait plus que sous l'effort de la patience; Jacques etait mecontent, et enviait presque la vie de ses anciens amis les Buveurs d'eau .

Il chercha a se distraire, tendit la main aux plaisirs, et se crea de nouvelles liaisons. Il frequenta le poete Rodolphe, qu'il avait rencontre dans un cafe, et tous deux se prirent d'une grande sympathie l'un pour l'autre. Jacques lui avait explique ses ennuis; Rodolphe ne fut pas bien longtemps a en comprendre le motif.

– Mon ami, lui dit-il, je connais ca… et lui frappant la poitrine a l'endroit du c?ur, il ajouta: vite et vite, il faut rallumer le feu la-dedans; ebauchez sans retard une petite passion, et les idees vous reviendront.

– Ah! dit Jacques, j'ai trop aime Francine.

– Ca ne vous empechera pas de l'aimer toujours. Vous l'embrasserez sur les levres d'une autre.

– Oh! dit Jacques; seulement, si je pouvais rencontrer une femme qui lui ressemblat!… et il quitta Rodolphe tout reveur.

Six semaines apres, Jacques avait retrouve toute sa verve, rallumee aux doux regards d'une jolie fille qui s'appelait Marie, et dont la beaute maladive rappelait un peu celle de la pauvre Francine. Rien de plus joli en effet que cette jolie Marie, qui avait dix-huit ans moins six semaines, comme elle ne manquait jamais de le dire. Ses amours avec Jacques etaient nees au clair de la lune, dans le jardin d'un bal champetre, au son d'un violon aigre, d'une contre-basse phthisique et d'une clarinette qui sifflait comme un merle. Jacques l'avait rencontree un soir, ou il se promenait gravement autour de l'hemicycle reserve a la danse. En le voyant passer roide, dans son eternel habit noir boutonne jusqu'au cou, les bruyantes et jolies habituees de l'endroit, qui connaissaient l'artiste de vue, se disaient entre elles:

– Que vient faire ici ce croque-mort? Y a-t-il donc quelqu'un a enterrer?

Et Jacques marchait toujours isole, se faisant interieurement saigner le c?ur aux epines d'un souvenir dont l'orchestre augmentait la vivacite, en executant une contredanse joyeuse qui sonnait aux oreilles de l'artiste, triste comme un De Profundis . Ce fut au milieu de cette reverie qu'il apercut Marie qui le regardait dans un coin, et riait comme une folle en voyant sa mine sombre. Jacques leva les yeux, et entendit a trois pas de lui cet eclat de rire en chapeau rose. Il s'approcha de la jeune fille, et lui adressa quelques paroles auxquelles elle repondit; il lui offrit son bras pour faire un tour de jardin, elle accepta. Il lui dit qu'il la trouvait jolie comme un ange, elle se le fit repeter deux fois; il lui vola des pommes vertes qui pendaient aux arbres du jardin, elle les croqua avec delices en faisant entendre ce rire sonore qui semblait etre la ritournelle de sa constante gaiete. Jacques pensa a la bible et songea qu'on ne devait jamais desesperer avec aucune femme, et encore moins avec celles qui aimaient les pommes. Il fit avec le chapeau rose un nouveau tour de jardin, et c'est ainsi qu'etant arrive seul au bal il n'en etait point revenu de meme.

52
Перейти на страницу:

Вы читаете книгу


Murger Henry - Sc?nes De La Vie De Boh?me Sc?nes De La Vie De Boh?me
Мир литературы

Жанры

Фантастика и фэнтези

Детективы и триллеры

Проза

Любовные романы

Приключения

Детские

Поэзия и драматургия

Старинная литература

Научно-образовательная

Компьютеры и интернет

Справочная литература

Документальная литература

Религия и духовность

Юмор

Дом и семья

Деловая литература

Жанр не определен

Техника

Прочее

Драматургия

Фольклор

Военное дело