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Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry - Страница 50


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J'espere que voila une ruse cranement bien machinee pensa-t-il en lui-meme.

– Mon Dieu! Mon Dieu! disait Francine, je puis bien encore rentrer chez moi sans chandelle: la chambre n'est pas si grande pour qu'on puisse s'y perdre. Mais il me faut ma clef; je vous en prie, monsieur, aidez-moi a chercher, elle doit etre a terre.

– Cherchons, mademoiselle, dit Jacques.

Et les voila tous deux dans l'obscurite en quete de l'objet perdu; mais, comme s'ils eussent ete guides par le meme instinct, il arriva que pendant ces recherches leurs mains, qui tatonnaient dans le meme endroit, se rencontraient dix fois par minute. Et, comme ils etaient aussi maladroits l'un que l'autre, ils ne trouverent point la clef.

– La lune, qui est masquee par les nuages, donne en plein dans ma chambre, dit Jacques. Attendons un peu. Tout a l'heure elle pourra eclairer nos recherches.

Et, en attendant le lever de la lune, ils se mirent a causer. Une causerie au milieu des tenebres, dans une chambre etroite, par une nuit de printemps; une causerie qui, d'abord frivole et insignifiante, aborde le chapitre des confidences, vous savez ou cela mene… Les paroles deviennent peu a peu confuses, pleines de reticences; la voix baisse, les mots s'alternent de soupirs… Les mains qui se rencontrent achevent la pensee qui, du c?ur, monte aux levres, et… Cherchez la conclusion dans vos souvenirs, o jeunes couples. Rappelez-vous, jeune homme, rappelez-vous, jeune femme, vous qui marchez aujourd'hui la main dans la main, et qui ne vous etiez jamais vus il y a deux jours.

Enfin, la lune se demasqua et sa lueur claire inonda la chambrette; Mademoiselle Francine sortit de sa reverie en jetant un petit cri.

– Qu'avez-vous? lui demanda Jacques, en lui entourant la taille de ses bras.

– Rien, murmura Francine; j'avais cru entendre frapper. Et, sans que Jacques s'en apercut, elle poussa du pied, sous un meuble, la clef qu'elle venait d'apercevoir.

Elle ne voulait pas la retrouver.

Premier Lecteur.-Je ne laisserai certainement pas cette histoire entre les mains de ma fille.

Deuxieme Lecteur.-Jusqu'a present je n'ai point encore vu un seul poil du manchon de Mademoiselle Francine; et, pour cette jeune fille, je ne sais pas non plus comment elle est faite, si elle est brune ou blonde.

Patience, o lecteurs, patience. Je vous ai promis un manchon, et je vous le donnerai a la fin, comme mon ami Jacques fit a sa pauvre amie Francine, qui etait devenue sa maitresse, ainsi que je l'ai explique dans la ligne en blanc qui se trouve au-dessus. Elle etait blonde, Francine, blonde et gaie; ce qui n'est pas commun. Elle avait ignore l'amour jusqu'a vingt ans; mais un vague pressentiment de sa fin prochaine lui conseilla de ne plus tarder, si elle voulait le connaitre.

Elle rencontra Jacques et elle l'aima. Leur liaison dura six mois. Ils s'etaient pris au printemps, ils se quitterent a l'automne. Francine etait poitrinaire, elle le savait, et son ami Jacques le savait aussi: quinze jours apres s'etre mis avec la jeune fille, il l'avait appris d'un de ses amis qui etait medecin. Elle s'en ira aux feuilles jaunes, avait dit celui-ci.

Francine avait entendu cette confidence, et s'apercut du desespoir qu'elle causait a son ami.

– Qu'importent les feuilles jaunes? Lui disait-elle, en mettant tout son amour dans un sourire; qu'importe l'automne, nous sommes en ete et les feuilles sont vertes: profitons-en, mon ami… quand tu me verras prete a m'en aller de la vie, tu me prendras dans tes bras en m'embrassant et tu me defendras de m'en aller. Je suis obeissante, tu sais, et je resterai.

Et cette charmante creature traversa ainsi pendant cinq mois les miseres de la vie de boheme, la chanson et le sourire aux levres. Pour Jacques, il se laissait abuser. Son ami lui disait souvent: Francine va plus mal, il lui faut des soins. Alors Jacques battait tout Paris pour trouver de quoi faire faire l'ordonnance du medecin; mais Francine n'en voulait point entendre parler, et elle jetait les drogues par les fenetres. La nuit, lorsqu'elle etait prise par la toux, elle sortait de la chambre et allait sur le carre pour que Jacques ne l'entendit point.

Un jour qu'ils etaient alles tous les deux a la campagne, Jacques apercut un arbre dont le feuillage etait jaunissant. Il regarda tristement Francine qui marchait lentement et un peu reveuse.

Francine vit Jacques palir, et elle devina la cause de sa paleur.

– Tu es bete, va, lui dit-elle en l'embrassant, nous ne sommes qu'en juillet; jusqu'a octobre, il y a trois mois; en nous aimant nuit et jour, comme nous faisons, nous doublerons le temps que nous avons a passer ensemble. Et puis, d'ailleurs, si je me sens plus mal aux feuilles jaunes, nous irons demeurer dans un bois de sapins: les feuilles sont toujours vertes.

Au mois d'octobre, Francine fut forcee de rester au lit. L'ami de Jacques la soignait… La petite chambrette ou ils logeaient etait situee tout au haut de la maison et donnait sur une cour ou s'elevait un arbre, qui chaque jour se depouillait davantage. Jacques avait mis un rideau a la fenetre pour cacher cet arbre a la malade: mais Francine exigea qu'on retirat le rideau.

– O mon ami, disait-elle a Jacques, je te donnerai cent fois plus de baisers qu'il n'a de feuilles… Et elle ajoutait: je vais beaucoup mieux, d'ailleurs… Je vais sortir bientot; mais comme il fera froid, et que je ne veux pas avoir les mains rouges, tu m'acheteras un manchon. Pendant toute la maladie, ce manchon fut son reve unique.

La veille de la toussaint, voyant Jacques plus desole que jamais, elle voulut lui donner du courage; et, pour lui prouver qu'elle allait mieux, elle se leva. Le medecin arriva au meme instant, il la fit recoucher de force.

– Jacques, dit-il a l'oreille de l'artiste, du courage! Tout est fini, Francine va mourir.

Jacques fondit en larmes.

– Tu peux lui donner tout ce qu'elle demandera maintenant, continua le medecin: il n'y a plus d'espoir.

Francine entendit des yeux ce que le medecin avait dit a son amant.

– Ne l'ecoute pas, s'ecria-t-elle en etendant les bras vers Jacques, ne l'ecoute pas, il ment. Nous sortirons ensemble demain… c'est la toussaint; il fera froid, va m'acheter un manchon… je t'en prie, j'ai peur des engelures pour cet hiver.

Jacques allait sortir avec son ami, mais Francine retint le medecin aupres d'elle.

– Va chercher mon manchon, dit-elle a Jacques; prends-le beau, qu'il dure longtemps.

Et quand elle fut seule elle dit au medecin:

– Oh! Monsieur, je vais mourir, et je le sais… Mais avant de m'en aller, trouvez-moi quelque chose qui me donne des forces pour une nuit, je vous en prie; rendez-moi belle pour une nuit encore, et que je meure apres, puisque le bon Dieu ne veut pas que je vive plus longtemps…

Comme le medecin la consolait de son mieux, un vent de bise secoua dans la chambre et jeta sur le lit de la malade une feuille jaune, arrachee a l'arbre de la petite cour.

Francine ouvrit le rideau et vit l'arbre depouille completement.

– C'est la derniere, dit-elle en mettant la feuille sous son oreiller.

– Vous ne mourrez que demain, lui dit le medecin, vous chez une nuit a vous.

– Ah! Quel bonheur! fit la jeune fille… une nuit d'hiver… elle sera longue.

Jacques rentra; il apportait un manchon.

– Il est bien joli, dit Francine; je le mettrai pour sortir.

Elle passa la nuit avec Jacques.

Le lendemain, jour de la toussaint, a l'angelus de midi, elle fut prise par l'agonie et tout son corps se mit a trembler.

– J'ai froid aux mains, murmura-t-elle; donne-moi mon manchon.

Et elle plongea ses pauvres mains dans la fourrure…

– C'est fini, dit le medecin a Jacques; va l'embrasser.

Jacques colla ses levres a celle de son amie. Au dernier moment, on voulait lui retirer le manchon, mais elle y cramponna ses mains.

– Non, non, dit-elle; laissez-le-moi: nous sommes dans l'hiver; il fait froid. Ah! Mon pauvre Jacques… ah! Mon pauvre Jacques… qu'est-ce que tu vas devenir? Ah! mon Dieu!

Et le lendemain Jacques etait seul.

Premier Lecteur.-Je le disais bien que ce n'etait point gai cette histoire.

Que voulez-vous, lecteur? On ne peut pas toujours rire.

II

C'etait le matin du jour de la toussaint, Francine venait de mourir.

Deux hommes veillaient au chevet: l'un, qui se tenait debout, etait le medecin; l'autre, agenouille pres du lit, collait ses levres aux mains de la morte, et semblait vouloir les y sceller dans un baiser desespere, c'etait Jacques, l'amant de Francine. Depuis plus de six heures, il etait plonge dans une douloureuse insensibilite. Un orgue de Barbarie qui passa sous les fenetres vint l'en tirer.

Cet orgue jouait un air que Francine avait l'habitude de chanter le matin en s'eveillant.

Une de ces esperances insensees qui ne peuvent naitre que dans les grands desespoirs traversa l'esprit de Jacques. Il recula d'un mois dans le passe, a l'epoque ou Francine n'etait encore que mourante; il oublia l'heure presente, et s'imagina un moment que la trepassee n'etait qu'endormie, et qu'elle allait s'eveiller tout a l'heure la bouche ouverte a son refrain matinal.

Mais les sons de l'orgue n'etaient pas encore eteints que Jacques etait deja revenu a la realite. La bouche de Francine etait eternellement close pour les chansons, et le sourire qu'y avait amene sa derniere pensee s'effacait de ses levres ou la mort commencait a naitre.

– Du courage! Jacques, dit le medecin, qui etait l'ami du sculpteur.

Jacques se releva et dit en regardant le medecin:

– C'est fini, n'est-ce pas, il n'y a plus d'esperance? Sans repondre a cette triste folie, l'ami alla fermer les rideaux du lit; et, revenant ensuite vers le sculpteur, il lui tendit la main.

– Francine est morte… dit-il, il fallait nous y attendre. Dieu sait que nous avons fait tout ce que nous avons pu pour la sauver. C'etait une honnete fille, Jacques, qui t'a beaucoup aime, plus et autrement que tu ne l'aimais toi-meme; car son amour n'etait fait que d'amour, tandis que le tien renfermait un alliage. Francine est morte… mais tout n'est pas fini, il faut maintenant songer a faire les demarches necessaires pour l'enterrement. Nous nous en occuperons ensemble, et pendant notre absence nous prierons la voisine de veiller ici.

Jacques se laissa entrainer par son ami. Toute la journee ils coururent a la mairie, aux pompes funebres, au cimetiere. Comme Jacques n'avait point d'argent, le medecin engagea sa montre, une bague et quelques effets d'habillement pour subvenir aux frais du convoi, qui fut fixe au lendemain.

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