Sc?nes De La Vie De Boh?me - Murger Henry - Страница 40
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Ici, Mademoiselle Mimi feignit de trebucher et s'appuya sur l'epaule de Rodolphe. Il lui prit le bras et lui proposa de la reconduire chez elle.
– Non, dit Mimi, j'habite avec Amelie; et, comme elle est avec son amant, je ne pourrai rentrer que lorsqu'il sera parti.
– Ecoutez, lui dit alors le poete, je vous ai fait faire tantot une proposition par Mademoiselle Amelie; vous l'a-t-elle transmise?
– Oui, dit Mimi, mais en des termes auxquels, meme apres ce qui est arrive, je n'ai pu ajouter foi. Non, Rodolphe, je n'ai pas cru que, malgre tout ce que vous pouvez avoir a me reprocher, vous me croyiez assez peu de c?ur pour accepter un semblable marche.
– Vous ne m'avez pas compris, ou on vous a mal rapporte les choses. Ce qui est dit est toujours dit, fit Rodolphe; il est neuf heures, vous avez encore trois heures de reflexion. Ma clef sera sur ma porte jusqu'a minuit. Bonsoir. Adieu, ou au revoir.
– Adieu donc, dit Mimi d'une voix tremblante. Et ils se quitterent… Rodolphe rentra chez lui et se jeta tout habille sur son lit. A onze heures et demie Mademoiselle Mimi entrait dans sa chambre.
– Je viens vous demander l'hospitalite, dit-elle: l'amant d'Amelie est reste chez elle, et je n'ai pu rentrer.
Jusqu'a trois heures du matin ils causerent. Une conversation explicative, ou de temps en temps le tu familier succedait au vous de la discussion officielle.
A quatre heures leur bougie s'eteignit. Rodolphe voulut en allumer une neuve.
– Non, dit Mimi, ce n'est point la peine; il est bien temps de dormir.
Et cinq minutes apres, sa jolie tete brune avait repris sa place sur l'oreiller; et, d'une voix pleine de tendresse, elle appelait les levres de Rodolphe sur ses petites mains blanches aux veines bleues, dont la paleur nacree luttait avec les blancheurs du drap. Rodolphe n'alluma pas la bougie.
Le lendemain matin, Rodolphe se leva le premier; et, montrant a Mimi plusieurs paquets, il lui dit tres-doucement:
– Voici ce qui vous appartient, vous pouvez l'emporter; je tiens ma parole.
– Oh! dit Mimi, je suis bien fatiguee, voyez-vous, et je ne pourrai pas emporter tous ces gros paquets d'une seule fois. J'aime mieux revenir.
Et comme elle s'etait habillee, elle prit seulement une collerette et une paire de manchettes.
– J'emporterai ce qui reste… petit a petit, ajouta-t-elle en souriant.
– Allons, dit Rodolphe, emporte tout ou n'emporte rien; mais que cela finisse.
– Que cela recommence, au contraire, et que cela dure surtout, dit la jeune Mimi en embrassant Rodolphe.
Apres avoir dejeune ensemble, ils partirent pour aller a la campagne. En traversant le Luxembourg, Rodolphe rencontra un grand poete qui l'avait toujours accueilli avec une charmante bonte. Par convenance, Rodolphe allait feindre de ne pas le voir. Mais le poete ne lui en donna pas le temps; et, en passant pres de lui, il lui fit un geste amical, et salua sa jeune compagne avec un gracieux sourire.
– Quel est ce monsieur? demanda Mimi.
Rodolphe lui repondit un nom qui la fit rougir de plaisir et d'orgueil.
– Oh! dit Rodolphe, cette rencontre du poete qui a si bien chante l'amour est d'un bon augure, et portera bonheur a notre reconciliation.
– Je t'aime, va, dit Mimi en serrant la main de son ami, bien qu'il fussent au milieu de la foule.
– Helas! Pensa Rodolphe, lequel vaut le mieux, ou de se laisser tromper toujours pour avoir cru, ou ne croire jamais dans la crainte d'etre trompe toujours?
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