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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта - Страница 42


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La rue etait extraordinairement etroite et, souvent, des incendies, allumes par les feux de forges trop proches, s'y declaraient. Aussi chaque maison avait-elle, au seuil, un grand seau, un soilloz de cuir qui servait a charrier l'eau en cas de besoin. Catherine savait cela mais troublee ne s'en mefia pas. Elle buta dans un de ces seaux, tomba lourdement et jura le plus naturellement du monde. Ce n'etait pas son habitude mais elle y trouva un reel soulagement.

A l'endroit ou la ruelle rejoignait le Bourg, la grand-rue commercante de la ville, elle s'elargissait pour former une placette, assez grande, toutefois, pour qu'un pilori y tint a l'aise. Il etait vide pour le moment mais ce n'etait pas une vue agreable. Detournant les yeux, Catherine voulut poursuivre son chemin quand elle se sentit retenue par le pan de sa cape et poussa un cri. Une ombre cahotante sortit d'une encoignure, hoqueta puis se mit a rire tandis que des mains rudes s'emparaient de sa taille sous la cape qui tomba.

Paralysee par la peur, la jeune fille eut cependant un reflexe de defense. Sa taille souple se tordit entre les mains, peut-etre maladroites, qui la tenaient et elle glissa comme une anguille. Sans plus se preoccuper de sa cape, elle se mit a fuir droit devant elle, s'efforcant malgre tout de dominer sa terreur pour ne pas se perdre. Il fallait qu'elle atteignit la taverne du roi des Truands.

Mais elle ne pouvait ignorer qu'on la poursuivait. Sur ses talons, elle entendait le claquement sourd et mat de pieds nus et le haletement de l'homme lance sur sa piste. La nuit devenait plus sombre, plus noir le labyrinthe des ruelles etroites a travers lesquelles elle tracait son chemin. Des puanteurs d'eaux sales, de detritus et de viandes pourries la prenaient a la gorge et un instant elle crut defaillir. Nul ne songeait a enlever les ordures autrement que periodiquement, quand il y en avait trop. On jetait alors a l'Ouche et au Suzon ce dont les porcs et les chiens errants n'avaient pas voulu...

Dans le renfoncement d'une porte, un tas de haillons bougea et Catherine terrifiee vit une autre ombre se jeter a sa suite avec un rire idiot. Une horreur sans nom se saisit d'elle. S'efforcant de precipiter sa course, elle s'interdit de se retourner. Mais courant ainsi en aveugle, elle ne prenait pas garde ou posaient ses pieds. Elle buta contre un tas d'ordures d'ou s'elevait une puissante odeur de poisson pourri, jeta ses mains en avant pour trouver un appui, sentit les pierres gluantes d'un mur et s'y colla, defaillante,

a bout de souffle, fermant les yeux... Ses poursuivants etaient sur elle...

Elle sentit les mains de tout a l'heure s'emparer a nouveau de sa taille, la manier sans douceur tandis qu'une odeur fetide montait a ses narines. L'homme etait tres grand car il cachait le ciel.

— Alors, chuchota-t-il d'une voix enrouee, on est bien pressee ?

Ou court-on si vite, un rendez-vous ?

Du moment ou l'homme parla, il perdit son cote terrifiant de fantome et cela ranima un peu Catherine.

— Oui, balbutia-t-elle faiblement... C'est cela !... un rendez-vous.

— Ca peut attendre. Moi pas... Tu sens la jeunesse, la proprete...

Tu dois etre tout plein mignonne. Hum !... Tu as la peau douce !

Malade de degout jusqu'a la nausee, Catherine, impuissante sentit les mains de l'inconnu parcourir rapidement son buste, s'arreter sur son cou et sa gorge, la ou se terminait la gorgerette plissee, s'y attarder. L'haleine de l'homme etait une infection, elle sentait le mauvais vin ranci, la pourriture et la peau de ses mains semblait durcie, brulee. Ces deux mains, justement, s'etaient arretees au decollete de la robe, s'y agrippaient, allaient tirer quand une voix grimacante qui semblait venir de terre ricana :

— Eh, doucement, compere !... Moi aussi je l'ai vue !... Part a deux

!...

Le colosse qui tenait Catherine relacha son etreinte, surpris, et se retourna. Le tas de haillons que la jeune fille avait vu s'ebranler se dressait derriere lui, ombre courte, tassee et comme dentelee dans ses vetements en loques. Un grognement dangereux lui echappa.

Catherine sentit se tendre les muscles de son agresseur. Il allait frapper mais l'autre reprit :

Allons, Dimanche-l'Assommeur, ne fais pas le mechant !... Tu sais tres bien que tu aurais des ennuis avec Jacquot de la Mer si tu faisais des bosses a son meilleur copain. Partageons la fille... Je te garantis qu'elle est gironde comme y en a pas. Tu sais que je vois la nuit, comme les chats, moi...

Le truand grogna a nouveau mais ne protesta pas. Il serra seulement plus fort sa proie contre lui en disant :

— Ah !... c'est toi, Jehan des Ecus !... Passe ton chemin, les filles, c'est pas pour toi !...

Mais le tas de haillons ne paraissait pas desirer se laisser convaincre. Son rire s'eleva a nouveau, grincant, sinistre, evoquant irresistiblement pour la jeune fille epouvantee la chaine rouillee d'un gibet.

— Que tu dis !... J'ai les ecrouelles et le dos tordu mais dans un lit j'en vaux un autre... Emmene la fille sous l'arche de la maison au pignon, la ou passe le Suzon. On la deshabillera. Jacquot de la Mer dit toujours qu'on ne peut pas juger une fille tant qu'elle a meme un haillon sur la peau... Allez viens !...

Le ton, imperieux, etait celui d'un maitre et sans doute celui que l'on avait appele Dimanche-l'Assommeur allait-il se laisser convaincre. Mais, par deux fois, Jehan des Ecus avait prononce le nom du roi des Truands et ce nom avait perce la terreur de Catherine.

Elle decida de jouer son va-tout. De toute facon, rien ne pourrait etre pire que ce qui l'attendait aux mains de ces bandits.

— Vous parlez de Jacquot de la Mer, dit-elle d'une voix qu'elle s'efforcait d'affermir. C'est chez lui que j'allais et vous me retardez...

Instantanement la poigne du colosse se desserra tandis que l'autre se rapprochait. D'une main etrangement vigoureuse pour un etre aussi tordu, il l'arracha completement des mains de Dimanche.

— Qu'est-ce que tu vas faire chez Jacquot ? Tu n'es pas une de ses fillettes. Elles sont toutes au travail a cette heure.

Il faut que je le vois, s'ecria Catherine prete a pleurer. C'est tres... tres important ! Si vous etes de ses hommes, conduisez-moi chez lui, je vous en supplie.

Il y eut un petit silence puis Jehan des Ecus poussa un soupir ou entrait un regret sincere.

— Ca change tout ! fit-il. Si tu vas chez Jacquot, on ne peut pas t'arreter. Mais c'est bien dommage. Allez, Dimanche, amene-toi...

Faut qu'on escorte cette pucelle... car tu es pucelle, hein la fille ? Ca se sent, sinon tu n'aurais pas fait tant d'histoires pour donner un peu de plaisir a deux braves truands...

Trop emue pour repondre, Catherine se remit a marcher entre ceux qui n'etaient encore pour elle que deux ombres sans visage. Elle n'avait plus peur. Elle comprenait obscurement que, jusqu'a la maison du chef, elle etait en surete et que ces deux bandits se constituaient en quelque sorte ses gardiens. L'ombre enorme de l'un marchait lourdement d'un cote, et l'autre cahotait, avec un dehanchement tragique sur le chemin inegal.

La ruelle descendait, s'insinuait entre deux maisons, tracant un boyau qui serpentait entre deux jardins clos de hauts murs. Au bout de cette venelle, une construction bizarre, informe a premiere vue et faite de deux maisons enchevetrees, dressait une silhouette fantastique.

Mais derriere un volet, une lumiere brillait malgre le couvre-feu. Une voix de femme chantait ou plutot psalmodiait une bizarre melopee dans une langue inconnue.

A mesure que l'on approchait de la maison, la voix se faisait plus nette. Elle montait, parfois, jusqu'a une note aigue qu'elle soutenait au point de la rendre insupportable, puis se brisait et reprenait, rauque et sourde. A cote d'elle Catherine entendit l'etrange rire grincant de Jehan des Ecus.

— Ha, ha !... Il y a fete chez Jacquot... tant mieux...

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