Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта - Страница 40
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— Ce n'est rien, ma cherie. C'est peut-etre de bonheur...
— De bonheur...
— Mais oui... peut-etre. Ton oncle va te dire.
Mathieu avait quitte son fauteuil et s'etait mis a marcher de long en large dans la piece qui tenait presque toute la longueur de la maison et toute sa largeur. Son pas etait plus lourd que d'habitude et il mit un moment a se decider. Finalement, il s'arreta devant sa niece et dit :
— Tu te souviens des etoffes que j'ai recues hier d'Italie et que tu admirais tant ? Ce brocart rose...
— Oui, fit Catherine. La commande de messire Garin de Brazey ?
— Justement. Si tu en as toujours envie, ils sont pour toi.
— Pour moi ?
L'oncle Mathieu etait-il subitement devenu fou ? Pour quelle raison un homme important comme Garin de Brazey offrirait-il a la niece d'un fournisseur un semblable present ? Le regard de Catherine alla de sa mere a son oncle en faisant une rapide incursion dans les profondeurs de la chambre afin de s'assurer que tout cela n'etait pas un songe. Tous deux guettaient une reaction sur le visage de la jeune fille.
— Mais... pourquoi ? demanda encore Catherine.
Mathieu se detourna et alla jusqu'a la fenetre,
regarda dehors, arracha une feuille au pot de basilic pose sur cette fenetre et revint vers sa niece.
— Parce que messire Garin nous fait l'honneur de te demander pour epouse. Hier, je suis alle le voir et il m'a tout au long expose son projet... contre lequel je n'ai rien a redire. Je le repete, c'est un tres grand honneur, un peu inattendu, mais un grand honneur tout de meme.
— Allons ! coupa Jacquette. N'influence pas cette enfant !
Je ne l'influence pas, fit Mathieu avec impatience. Je ne suis pas bien sur moi-meme de desirer ce mariage qui m'inquiete. Je dis ce qui est, voila tout. Qu'en penses-tu petite ?
La jeune fille restait muette. C'est qu'aussi la surprise etait de taille.
Il semblait que, depuis la veille, l'argentier eut decide d'envahir son existence. Mais elle aimait trop connaitre le fond des choses pour ne pas poser d'autres questions.
— Pour quelle raison messire Garin desire-t-il m'epouser ?
— Il t'aime apparemment, fit Mathieu en haussant les epaules. Cela n'a vraiment rien d'etonnant. Il m'a dit qu'il n'avait jamais vu plus belle jeune fille et j'en sais plus d'un qui est de cet avis. Que dois-je repondre ?
Une fois de plus, Jacquette s'interposa.
— Tu vas trop vite, Mathieu ! Tout ceci est surprenant, inattendu pour cette petite. Il faut lui laisser le temps de se faire a cette idee...
S'y faire ? Ah, certes, il fallait que Catherine s'y fit. Sur le fidele miroir de sa memoire, elle voyait se lever l'image un peu inquietante de Garin de Brazey, son visage froid, cet ?il unique et cette allure imposante, glacante meme. Il avait l'air d'un personnage de tapisserie anime soudainement par magie. On n'epouse pas un personnage de tapisserie.
— J'apprecie l'honneur qui m'est fait, dit-elle sans hesiter, mais vous voudrez bien dire a messire de Brazey que je n'ai pas envie de me marier. Je ne l'aime pas, comprenez-vous... mais, cela, c'est tout a fait inutile de le lui dire.
— Tu refuses ?
Mathieu etait abasourdi. Il s'attendait a de l'etonnement, a une profonde stupeur et meme a un certain emerveillement. La demande en mariage d'un personnage si riche et si puissant pouvait accabler une jeune fille timide sous le poids de l'honneur et de la joie. Mais que cette demande put etre repoussee aussi nettement, et sans autre examen, avait de quoi renverser un monde. Catherine, assise maintenant aupres de sa mere dont elle avait pris la main n'avait l'air ni accablee ni autrement emue. Son beau regard pur etait demeure tres calme, tres lucide. Sa voix aussi etait paisible en repliquant doucement
: — Naturellement, je refuse ! J'ai, jusqu'ici, refuse tous les autres partis que vous m'avez offerts parce que je ne les aimais pas. Je n'aime pas davantage messire de Brazey. Donc, je refuse de l'epouser...
Cette logique sans defaut ne parut pas seduire Mathieu qui se rembrunit. Le gros pli creuse entre ses sourcils se fit encore plus profond. 11 hesita un moment, puis ajouta :
— As-tu songe que tu serais la plus riche dame de Dijon, la mieux paree ? Tu regnerais sur une superbe maison, tu aurais en quantite ces toilettes dont tu reves, des bijoux de reine, des servantes, tu irais a la Cour...
— ... et, coupa Catherine, je dormirais toutes les nuits aupres d'un homme que je n'aime pas. Non, mon oncle. N'insistez pas, c'est non.
— Malheureusement, fit Mathieu sans regarder sa niece, tu n'as pas la possibilite de refuser. Tu dois epouser Garin de Brazey. C'est un ordre !
Le mot fit perdre a Catherine son beau calme. Elle sauta sur ses pieds, fit face a Mathieu, brillante d'une colere qui rougissait ses joues et faisait flamber ses yeux.
— Un ordre ? Vraiment ? Et de qui ?
— De Monseigneur le Duc. Tiens, lis !...
Et, d'un coffret pose sur la table, Mathieu Gautherin sortit un grand parchemin aux armes ducales qu'il tendit a la jeune fille :
— Garin de Brazey me l'a remis en meme temps que sa demande solennelle. Avant l'hiver tu seras la dame de Brazey...
Catherine passa toute la journee enfermee dans sa chambre. Nul ne vint l'y deranger car l'oncle Mathieu, epouvante par le dechainement de fureur qui avait suivi, chez la jeune fille, l'annonce de l'ordre ducal, avait juge bon d'ordonner qu'on la laissat tranquille. Meme Sara avait disparu pour ce lieu mysterieux ou elle se rendait de temps a autre sans donner d'explications. Assise sur son lit, ses mains nouees reposant entre ses genoux au creux de sa jupe, Catherine reflechissait avec Gedeon pour seul temoin. Mais sentant peut-etre instinctivement que sa maitresse traversait une crise, le perroquet se taisait. Le cou rentre, les yeux mi-clos sur son perchoir, l'animal semblait dormir et faisait sur le mur nu de la chambre une grosse tache chatoyante.
La colere de tout a l'heure s'etait un peu calmee mais la revolte grondait toujours au c?ur de la jeune fille. Elle avait cru que le duc lui voulait du bien et tout ce qu'il trouvait a faire pour elle c'etait cet ordre bizarre, incomprehensible : epouser Garin de Brazey, un homme que non seulement elle n'aimait pas, mais qu'elle connaissait a peine. Rien que le procede employe la revoltait. Philippe la considerait-il comme son propre bien dont il pouvait decider du sort a son gre alors qu'elle n'etait meme pas de son duche ? C'etait cela qu'elle avait repondu a Mathieu : « Je ne suis pas sujette de Monseigneur Philippe. Je n'ai pas a lui obeir. Je n'obeirai pas ! »
— Ce sera alors, pour nous tous, la ruine, la prison... pire peut-etre. Je suis, moi, sujet du duc et fidele sujet. Tu es ma niece et tu vis sous mon toit. Tu lui es donc vassale, que tu le veuilles ou non...
Il n'y avait rien a repondre a cela. Catherine, outree de fureur, le sentait bien, mais elle ne pouvait se resoudre a se laisser livrer ainsi au bon plaisir de l'argentier, elle qui, jusque-la, avait si bien su se garder des hommes et s'etait jure de continuer. Il y avait eu Arnaud, bien sur, et l'experience a la fois cruelle et douce vecue entre ses mains mais puisque ce bonheur-la devait lui demeurer a jamais interdit Catherine, sur la route de Flandres, s'etait fait la promesse de n'etre a nul autre qu'a cet homme brutal et tendre qui s'etait empare de son c?ur et avait bien failli, si vite, asservir son corps.
Dans le cerveau enfievre de la jeune fille d'autres images d'hommes se succedaient : Garin et le tragique bandeau noir de son ?il, le jeune capitaine de Roussay, si follement epris et qui peut-etre, pour l'amour d'elle, pourrait commettre une folie. Un instant, Catherine envisagea de se faire enlever par le jeune homme. Jacques, elle en etait sure, ne se le ferait pas repeter, meme au risque de la colere du duc Philippe et c'etait la un moyen infaillible d'echapper a Brazey. Mais au pouvoir de Roussay, elle ne pourrait moins faire que le payer de sa peine et lui accorder ce dont il dessechait de desir. Or, Catherine n'avait pas plus envie d'appartenir a Jacques de Roussay qu'a Brazey. C'etait toujours subir l'amour d'un homme qui n'etait pas Arnaud.
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