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Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта - Страница 37


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Elle avait terriblement change, Loyse, depuis la fuite de Paris et, dans cette reveche vieille fille portant bien plus que ses vingt-six ans, Catherine avait du mal a reconnaitre la douce adolescente du Pont- au-Change, celle que leur pere appelait si tendrement « ma petite nonne

». Les premiers temps qui avaient suivi son enlevement de chez Caboche avaient ete terribles : Loyse fuyait les siens, se terrait dans un coin sans jamais accepter qu'on la touchat, ne repondant meme pas quand on lui adressait la parole. Elle dechirait ses vetements, jetait des poignees de cendres dans ses aliments quand elle ne se contentait pas d'eau croupie et de pain moisi. Sous ses robes miserables, elle portait une ceinture de crin armee de petites pointes de fer qui dechiraient sa peau tendre et Jacquette Legoix, desesperee, avait vu le moment, ou, dans sa soif fanatique de rachat, Loyse exigerait qu'on la laissat entrer en reclusoir, comme cette Agnes du Rocher, la recluse de Sainte Opportune a Paris, a qui elle allait si souvent porter du pain et du lait autre- fois. Combien de nuits la malheureuse mere avait-elle passees a sangloter et a prier ? Et quand un mauvais sommeil la prenait, il etait trouble de reves atroces, toujours les memes : elle voyait sa fille agenouillee en robe de bure, au milieu de macons qui, peu a peu, elevaient un mur. Ce mur allait la retrancher a jamais des vivants, en faire une enterree vive parmi ses freres humains, une chair souffrante au fond d'un trou infect, exposee au froid, au gel ou a l'etouffante chaleur d'ete dans un caveau a peine assez grand pour s'y etendre et perce seulement d'une etroite meurtriere. Catherine se souvenait des cris d'angoisse que poussait sa mere au milieu de la nuit.

Ils l'eveillaient en sursaut, faisaient se signer les voisins au fond de leur lit, mais Loyse les ecoutait sans qu'un muscle bougeat dans son visage immobile. La jeune fille semblait avoir perdu son ame et se conduisait en pestiferee.

Elle se meprisait a tel point qu'elle n'osait meme pas s'approcher des eglises pour se laver de ce peche de chair qu'elle trainait apres elle comme un boulet. Cela avait dure environ un an...

Et puis, un jour de l'automne 1414, un colporteur passa. Il venait du Nord et s'etait arrete un moment chez Mathieu pour vendre des aiguilles aux femmes. Il s'etait assis pour se rafraichir et il avait raconte comment Caboche et quelques-uns des siens s'etaient refugies a Bapaume. Malheureusement pour eux, la ville avait ete assiegee peu apres par les Armagnacs. Tombe aux mains de ses ennemis, Simon l'Ecorcheur avait ete pendu haut et court avec ses lieutenants. Le colporteur n'avait pas compris pourquoi a la fin de ce tragique recit une grande fille blonde et pale qui l'ecoutait avec avidite s'etait mise a rire... oh ! mais a rire comme jamais il n'avait entendu rire personne !

De ce jour, Loyse avait change. Elle avait accepte de se vetir convenablement, encore que tout de noir, comme une veuve, et si elle avait continue a porter son cilice, elle n'avait plus parle d'entrer en reclusoir. Le vendredi suivant, elle avait jeune toute la journee puis elle s'en etait allee seule a Notre-Dame ou elle avait longuement prie devant la Vierge Noire avant de demander a un pretre de l'entendre en confession. Puis elle avait repris une vie normale, a cela pres que cette vie n'etait guere qu'une longue suite de penitences et de macerations.

— Elle entrera en quelque moutier bientot, disait Sara en hochant la tete. Elle reprendra son ancienne idee.

Mais non, Loyse ne souhaitait plus entrer au couvent parce qu'elle avait perdu la virginite qu'elle voulait offrir au Seigneur. Elle avait retrouve le chemin de l'Eglise mais ne se jugeait plus digne de vivre aupres des filles vouees tout a Dieu. Seulement, ce mepris d'elle-meme, Loyse l'avait etendu a toute l'humanite et, dans le voisinage, on admirait autant sa vertu et sa piete austere que l'on redoutait son caractere reveche.

Tandis que Loyse achevait ses oraisons et que Catherine bayait un peu aux corneilles, le regard distrait de la jeune fille accrocha soudain une longue forme masculine placee non loin d'elle, sur le meme banc et qui, debout, bras croises sur la poitrine, semblait prier avec quelque hauteur. La tete tres droite, les yeux fixes a l'autel etincelant, l'homme donnait l'impression de parler d'egal a egal avec Dieu. Aucune humilite dans son attitude mais plutot une nuance de defi. Catherine s'etonna de le voir la, a cette heure matinale d'un jour de semaine.

Messire Garin de Brazey, grand argentier de Bourgogne, gardien des joyaux de la couronne ducale et portant, de plus, le titre d'ecuyer de Monseigneur Philippe, titre purement honorifique mais qui anoblissait ce grand bourgeois, etait l'un des hommes les plus riches de Dijon et, comme tel, ne frequentait l'eglise que le dimanche et aux jours de fetes, et toujours avec une certaine pompe.

Catherine le connaissait de vue, pour l'avoir croise plusieurs fois dans les rues ou pour l'avoir apercu clans la boutique de l'oncle Mathieu quand il venait choisir des etoffes. C'etait un homme d'une quarantaine d'annees, grand, mince, mais solidement bati. Son visage, nettement dessine, avait le profil d'une medaille antique et eut ete beau sans le deplaisant pli d'ironie qui relevait d'un cote les levres a peine tracees. La bouche barrait la figure glabre, bien rasee, comme un coup de sabre. Le grand chaperon de velours noir, pique d'un magnifique bijou d'or representant saint Georges et dont un pan s'enroulait autour du cou, cachait les cheveux et faisait une ombre noire sur ce visage pale. Il trouvait un contrepoint sinistre dans le bandeau masquant l'?il gauche de messire Garin. Un ?il qui n'avait pas servi longtemps car le gardien des joyaux l'avait perdu a seize ans, a la bataille de Nicopolis, au cours de la folle croisade contre les Turcs ou il avait accompagne Jean- sans-Peur, alors comte de Nevers.

Le jeune ecuyer avait ete captif avec son seigneur et de la etait partis sa fortune et son anoblissement, pour le devouement donne a ce moment penible.

Pour les femmes de Dijon, Garin de Brazey etait une enigme car il restait obstinement celibataire, n'en regardait jamais aucune malgre les avances nombreuses que l'on ne lui menageait pas. Riche, point laid, bien en cour et passant pour spirituel, il n'etait guere de famille bourgeoise ou de petite noblesse qui ne l'eussent accueilli bien volontiers. Mais il ne semblait rien voir des sourires prodigues, vivait seul dans son magnifique hotel du bourg, au milieu de nombreux domestiques et de precieuses collections.

Quand enfin Loyse consentit a se lever, Catherine se hata de la suivre mais n'en remarqua pas moins que l'?il unique de l'argentier s'etait fixe sur elle. Les deux jeunes filles, quittant la chapelle, s'enfoncerent dans les ombres profondes de l'eglise, des ombres qui s'obscurcissaient a mesure que l'on s'eloignait du halo lumineux de la Vierge Noire. Elles marchaient l'une derriere l'autre avec precaution car, a cette epoque ou l'on enterrait beaucoup dans les eglises, le sol, toujours bouleverse, offrait des denivellations soudaines et dangereuses, des trous et des ornieres dans lesquels il etait courant de se tordre le pied.

Ce fut ce qui arriva a Catherine qui marchait derriere sa s?ur. Elle allait atteindre le grand benitier de cuivre quand son pied tourna sur une dalle brisee. Elle tomba lourdement a terre avec un gemissement de douleur.

— Quelle maladroite ! grommela Loyse. Tu ne peux pas faire attention ?

— On n'y voit rien, protesta Catherine.

Elle fit un effort pour se lever mais retomba avec une nouvelle plainte...

— Je ne peux pas me lever, j'ai du me fouler le pied. Aide-moi...

— Laissez-moi vous aider, demoiselle, fit une voix grave qui semblait venir de tres haut au-dessus de la tete de la jeune fille.

En meme temps, Catherine voyait une grande ombre se pencher vers elle. Une main seche et chaude la saisit, la releva en meme temps qu'un bras ferme ceinturait sa taille, la maintenant solidement.

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