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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта - Страница 6


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— Oh ! avait fait Ermengarde, mi-scandalisee, mi-admirative.

Catherine s'etait contentee de sourire. Elle en avait trop vu a la Cour des Miracles et dans la taverne de Jacquot de la Mer pour s'offusquer du spectacle. Elle ne trouvait rien de choquant dans la nudite de ces filles, toutes jeunes, toutes belles. Leurs formes harmonieuses avaient une grace sauvage, une beaute de statues animees par magie. Mais les yeux des gitans brillaient comme des charbons ardents. De gros nuages s'appretaient a engloutir la lune, le feu n'etait plus que braises rougeoyantes... L'ombre, peu a peu, allait envahir le campement. Un homme accroupi au bord du feu bondit sur l'une des filles, l'enleva dans ses bras et l'emporta derriere le bouquet d'arbres. Un autre fit de meme, puis un autre... Sara chantait toujours mais la nuit se peuplait de soupirs. Avec decision, Ermengarde tira Catherine en arriere et ferma la fenetre. Catherine vit qu'elle etait tres rouge et se mit a rire.

— Oh, Ermengarde ! Vous etes scandalisee ?

— Scandalisee, non !... mais j'aime autant ne pas avoir de cauchemars cette nuit. Un tel spectacle n'est bon ni pour une femme de mon age... ni pour une femme du votre quand son mari est au loin.

Catherine ne repliqua pas. Elle sentait que la comtesse avait raison, qu'il etait plus sage de se detourner de la bacchanale nocturne. Mais, une fois au lit, elle demeura longtemps les yeux ouverts, l'oreille au guet. De temps en temps, la voix de Sara se faisait entendre, fredonnant plus qu'elle ne chantait, accompagnee par les accords legers du luth. Puis, peu a peu, tout s'eteignit.

Le premier soin de Catherine, en s'eveillant le lendemain matin, fut de courir a la fenetre. Repoussant le volet de bois, elle se pencha au-dehors dans l'air frais. Mais une exclamation decue lui echappa. Il n'y avait plus trace du campement des bohemiens... a part peut-etre des cercles noircis dans l'herbe, la ou les feux avaient flambe. Ils avaient du partir tot, a l'aube meme, evanouis dans la lumiere rose du matin comme un reve. La campagne etait paisible, sereine. La bacchanale de la nuit s'etait dissipee aussi aisement que la fumee des feux. Quelqu'un sifflait sous la fenetre de Catherine qui ouvrait sur une porte de l'ecurie. Elle vit que c'etait l'un des soldats d'escorte et l'appela.

— Dites a messire de Roussay que je desire lui parler.

L'homme sourit, salua et disparut en courant a l'angle de la maison.

Quelques minutes plus tard, Jacques de Roussay frappait a la porte des deux dames et, sur la permission qui lui fut accordee, entrait. Drapee dans une robe du matin, Catherine l'attendait, debout aupres de la fenetre. Quant a Ermengarde, elle etait encore couchee. Les couvertures remontees jusqu'au nez, elle regardait la scene d'un ?il farouche et nettement reprobateur. Mais le jeune capitaine ne s'en inquieta pas. L'expression tendue de Catherine le tourmentait bien davantage.

— Avez-vous vu Sara, ce matin ? demanda-t-elle

sans meme prendre la peine de repondre au profond salut du jeune homme.

— Je ne l'ai pas vue, mais l'un de mes hommes l'a apercue. Il etait tres tot, peu apres le lever du jour. Elle est partie avec les tziganes, en croupe derriere le chef.

— Partie ?...

Une peine profonde bouleversa soudainement la jeune femme. Une brusque envie de pleurer comme une petite fille abandonnee. Ermengarde avait eu raison. Rien n'avait plus compte pour Sara des vieux liens de tendresse en face de l'appel de la vie d'autrefois, de la tentation d'une vie errante et libre... Catherine etait bien obligee d'admettre ce qu'elle avait tellement refuse de croire la veille au soir. Elle baissa la tete et Jacques put voir une larme rouler sur sa joue.

— Oh ! Vous pleurez ? s'ecria-t-il bouleverse.

— Oui... mais cela passera. Je vous remercie, mon ami. Nous partirons dans l'heure. Veillez a ce que tout soit pret.

Elle se detournait vers la fenetre pour lui derober ses larmes et, intimide, il n'osa pas risquer une consolation. Du fond de son lit, Ermengarde haussa les epaules, fit signe a Jacques de s'eloigner. Quand il eut referme la porte derriere lui, elle sortit de son lit et, sur ses pieds nus, trotta jusqu'aupres de Catherine qu'elle enveloppa tendrement de ses deux bras.

— Venez pleurer avec votre vieille amie, mon petit... Je ne pensais pas, hier au soir, avoir vu si juste ! Il ne faut pas croire que cette Sara ne vous aimait pas. Mais, voyez-vous, elle est de la race des oiseaux migrateurs. Ils ne savent pas resister a certains signes. Ils s'en vont... mais ils reviennent.

Catherine secoua la tete, reprimant un sanglot.

Elle ne reviendra pas ! Elle a retrouve les siens, son element... mais ce qui me fait le plus mal, c'est qu'elle soit partie ainsi... sans meme un adieu.

— Elle a peut-etre eu peur qu'un adieu lui rendit le depart impossible...

Habillez-vous, Catherine, et allons-nous-en ! Il fait trop triste ici !...

Une heure plus tard, la litiere emportant les deux femmes s'ebranlait. Le soleil etait deja haut dans le ciel. Jacques de Roussay caracolait a la portiere sans oser meme regarder Catherine. Elle portait si souvent a ses yeux son mouchoir de dentelle ! Le jeune homme se sentait malheureux d'etre tellement impuissant devant ce chagrin. On poursuivit la route en silence.

Vers le milieu du jour, les frontieres de Bourgogne furent franchies sans que l'on ait trouve trace de Sara et de la troupe de Boheme. Il semblait qu'ils se fussent tous dissous dans les brouillards matinaux.

Catherine eprouva une vraie satisfaction a retrouver sa maison de la rue de la Parcheminerie et Abou- al-Khayr, toujours aussi affaire mais toujours aussi amical. Le petit medecin ne quittait guere son laboratoire ou, grace a la generosite de Garin, il avait tout ce dont il pouvait avoir besoin pour ses experiences. Continuellement, des courriers de Bruges ou de Venise lui apportaient des plantes, des herbes, des metaux et des epices dont il composait baumes et medicaments. Le retour de Catherine sous un voile et des bandages l'offusqua comme une atteinte a une ?uvre d'art. Il entra dans une telle colere qu'elle n'osa pas lui avouer que Garin etait l'auteur du chef-d'?uvre. Elle ne voulait pas entamer la reconnaissance et l'estime sinceres que le medecin maure portait a son hote. Elle lui raconta une fumeuse histoire de chute de cheval dans un fourre particulierement epineux, dont Abou-al-Khayr ne fut aucunement dupe, mais qu'il fit semblant de croire par courtoisie.

Il exigea pourtant de se rendre compte de l'etendue des degats malgre la resistance choquee de Catherine et l'examina soigneusement, sur toutes les coutures, mais sans se livrer a aucun commentaire, ce qui soulagea grandement la jeune femme. Pourtant en passant un doigt soigneux le long du dos meurtri, il se permit une remarque :

— Curieux, l'effet de ces epines... ! Il faudra que je me rende tout expres dans le Nord pour les examiner de pres... fit-il avec un brin d'ironie et tant de bonhomie que Catherine se contenta de sourire sans repondre.

Par contre, il loua grandement l'emploi qu'avait fait Sara de son baume de Matarea, souverain pour toutes les blessures, se contentant seulement de preconiser, pour le visage, une pate composee d'amandes douces, de bulbe d'iris du Levant, d'eau de rose, de myrrhe, de camphre et de graisse fine de porc, dont il lui remit un plein pot avec ordre de s'en servir matin et soir.

Il essaya, de meme, d'adoucir la cuisante blessure laissee par le depart de Sara. Catherine ne parvenait pas a s'y faire. Elle souffrait de cet abandon brutal comme d'une injure et, peu a peu, la colere l'emportait sur le chagrin.

Depuis la fuite de Sara, une transformation s'operait dans l'esprit de la jeune femme, une transformation en forme de revolte. Elle en avait plus qu'assez d'etre le jouet que ballottent les evenements. Il semblait que chacun prit a tache de se servir d'elle, d'en user a son bon plaisir sans meme lui demander si cela lui convenait. Philippe d'abord, qui s'arrogeait le droit de la marier contre sa volonte afin de pouvoir plus aisement se l'approprier. Garin, ensuite, qui l'epousait sans en faire sa femme et sans meme se donner la peine d'expliquer les raisons de son attitude. Aupres de lui, Catherine en arrivait a ne plus bien savoir si elle etait un objet d'art que l'on pare et que l'on expose ou une sorte d'esclave sur qui l'on a plein droit de vie et de mort.

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