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Belle Catherine - Бенцони Жюльетта - Страница 31


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Les chiens, deja, se lancaient vers le bord de l'etang. Les traces de pas, profondement enfoncees dans la boue, montraient que l'homme avait du courir pour gagner la foret. La foret ! Son royaume a lui, le bucheron des grandes futaies normandes ! Malgre les pluies recentes, l'herbe jaunissait, ne gardant sa verdure que dans les profondeurs. Au-dela de l'etang, la foret rousse brillait comme une enorme fourrure fauve et dore,-rouge aussi par endroits, commencant deja a repandre sur la terre sa parure bruissante. Haut dans le ciel passait le vol rapide des oiseaux migrateurs, en route vers le sud. Catherine envia leur liberte et ce don merveilleux qu'ils avaient de pouvoir rompre avec la terre et partir ainsi, dans la lumiere bleue, a la poursuite du soleil, de la chaleur... Elle avait, plus cruellement que jamais, conscience de son impuissance et du danger que courait Gauthier.

Le nez a terre, reniflant la boue, les chiens suivaient la trace en bons limiers. Infiniment plus indolent etait le leopard.

Le grand fauve semblait effectuer la une ennuyeuse promenade et son regard, lourd d'indifference, tournait autour de lui, ignorant la troupe hurlante et fretillante des molosses qui paraissaient l'avant-garde desordonnee de quelque prince flegmatique. Sous le couvert du bois, les arbres avaient allege leur feuillage, eclairci leur ombre. Parfois, la meute s'arretait, flairant le vent. Un valet embouchait alors une corne, lancant au ciel un appel rauque, puis le train repartait.

— Decouplez les chiens ! cria Gilles.

Les betes liberees partirent comme des boulets. Les chevaux prirent le galop. Devant elle, Catherine voyait sauter la croupe noire de Casse-noix et danser la longue queue de l'animal. La petite jument le suivait comme son ombre. Un peu en avant, elle pouvait voir voltiger le voile vert d'Anne de Craon, entre les branches rousses. Il y avait longtemps qu'elle n'avait suivi de chasse, mais elle retrouvait, instinctivement, au galop de sa bete, toutes ses qualites d'excellente cavaliere.

Philippe de Bourgogne etait un maitre exigeant en matiere d'equitation et il adorait la chasse comme tous les Valois. A son ecole, Catherine avait appris a la fois les finesses de la venerie et ce qu'il etait possible de tirer d'un cheval. Aucune femme et fort peu d'hommes montaient aussi habilement, aussi elegamment qu'elle. Le duc Philippe, au temps de leurs amours, en etait extremement fier. Mais, ces particularites, elle s'etait bien gardee d'en faire part a son geolier, se bornant a une attitude sans relief ni eclat. Elle s'etait contentee d'etudier sa monture. Certes, Morgane semblait eprouver un vif attrait pour le grand etalon noir, mais elle etait d'encolure trop fine pour n'etre pas delicate et sa bouche etait sensible. Elle ne resisterait pas aux impulsions d'une main vigoureuse.

Si la vie de Gauthier n'eut ete suspendue a cette chasse inhumaine, Catherine eut pris plaisir a galoper ainsi dans l'air vif du matin. Les aboiements des chiens et les appels de trompe emplissaient la foret d'un tintamarre joyeux.

Dans une petite clairiere ou, solitaire, s'elevait un chene venerable, la meute parut hesiter. Sous les enormes branches tordues, un des matins leva le nez, renifla, puis fila sur la droite de l'arbre dont le vent faisait frissonner le dome enorme.

Tous les autres s'engouffrerent sur sa trace dans un epais fourre. Gilles ricana.

— Il ne leur echappera pas ! Avant peu nous trouverons ce croquant, tremblant de peur en quelque coin, tete aux chiens. J'espere seulement qu'ils en laisseront quelques bribes...

A cet instant, un terrifiant rugissement emplit le bois, effrayant les oiseaux qui s'envolerent et faisant courir un frisson le long de l'echine de Catherine. Elle sentit couler sa sueur. Le leopard avait gronde et d'un puissant coup de reins s'etait arrache a la main de son gardien. Catherine vit un eclair jaune et noir filer dans le fourre, dans une direction opposee a celle suivie par les chiens. Anne de Craon, surprise d'abord, s'etait arretee tandis que Gilles, avec un affreux juron, s'arretait aussi. Le regard de Catherine croisa celui de la vieille femme. Celle-ci fit un geste imperieux qui, dans un eclair, fut saisi. Prestement, Catherine, arrachant une epingle de son corsage, l'enfonca ferocement dans la croupe de Casse-noix.

Le cheval hennit de douleur, puis partit a un train d'enfer sur la trace des chiens. Catherine, de toutes ses forces, tira sur ses renes, obligeant, bon gre mal gre, la petite jument furieuse a demeurer sur place. Deja Anne de Craon etait pres d'elle.

— Vite ! Il faut suivre le leopard... J'avais compte sans cette maudite bete !

Tout en piquant des deux sur la trace du fauve, Catherine demanda, la figure fouettee d'une branche morte :

— Qu'aviez-vous donc fait ?

— Un de mes serviteurs attendait la meute ici avec un jeune sanglier, un ragot de deux ans capture il y a deux jours.

J'avais fait dire a votre paysan de foncer par ici, puis de grimper dans le chene dont les branches l'auraient cache et lui auraient permis de s'eloigner sans laisser de traces a terre tandis que le ragot serait lache. Mais ce damne felin a evente la ruse et ne s'est pas laisse prendre. Il a suivi la bonne piste. Il faut le rattraper avant qu'il ne trouve l'homme.

Le vent de la course folle, a travers fourres et taillis, coupait la voix de Catherine. Pourtant, elle parvint a crier :

— Mais Gilles et les autres ?

— Vont galoper un bon moment sur les traces de mon sanglier, repondit Anne, avant de s'apercevoir de leur erreur.

Cela nous laisse un peu de temps.

— Et comment... empecherez-vous le leopard d'attaquer ?

— Avec ceci !

Et, de l'arcon de sa selle, Anne de Craon detacha un epieu de frene a pointe d'acier. Les arbres, dans un craquement de branches, defilaient comme un mur roux. Les deux chevaux fuyaient, l'ecume aux dents, a travers un tunnel chatoyant, tout crissant de feuilles froissees. Devant elles, Anne et Catherine pouvaient entendre les feulements du fauve en chasse.

Soudain, chevaux et cavalieres deboucherent dans une petite clairiere tapissee de mousse, encerclee par les arbres aussi etroitement que par une muraille et qui se fermait par un cul-de-sac rocheux. Des fleches de soleil pale percaient la voute de feuillage, irisant les brins d'herbe ou la rosee n'avait pas encore seche. L'endroit etait paisible et charmant, mais Catherine n'y trouva qu'horreur et angoisse. Tout au fond, Gauthier et le leopard etaient face a face...

Le grand Normand, adosse aux roches verdies, se tenait ramasse, jambes ecartees, mains demi ouvertes, pretes a crocher. Penche en avant, sa poitrine epaisse soulevee a un rythme rapide par la course qu'il venait de fournir, il haletait, les yeux rives a ceux du fauve, surveillant le moindre de ses mouvements. La bete etait tapie dans les feuilles, gueule beante, montrant des crocs terribles et blancs, ses griffes puissantes plantees dans la terre, grondant doucement et dardant sur l'homme sans armes son vert regard etincelant de fureur.

L'epieu a la main, Anne allait eperonner son cheval tremblant de frayeur. Deja, elle appuyait son talon quand Gauthier hurla :

— Ne bougez pas !

La detente du fauve suivit immediatement le cri. Le long corps souple du leopard s'etira dans l'air pour retomber sur Gauthier. La bete et l'homme roulerent dans la mousse. Le Normand avait reussi a empoigner, a deux mains, la gorge de l'animal et, les bras tendus, tous ses muscles tremblant sous l'effort, il maintenait la gueule beante a l'ecart de son visage.

Il grimacait de douleur car les griffes du leopard avaient laboure ses epaules et tentaient de l'atteindre encore. Les grondements du fauve furieux se melaient a la respiration en soufflet de forge de l'homme. Un peu plus loin, les deux femmes, hypnotisees par la peur, maintenaient du mieux qu'elles pouvaient leurs montures epouvantees.

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