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Belle Catherine - Бенцони Жюльетта - Страница 29


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— Ce matin, a l'aube, au mepris de tout droit, vous avez fait arracher de ma chambre Sara, ma servante. Que dis-je ?

Bien plus qu'une servante ! Elle m'a elevee et je la considere comme ma plus fidele amie. Apres ma mere, elle est l'etre qui m'est le plus cher au monde.

A l'evocation de sa tendresse pour Sara, sa voix trembla legerement, mais elle s'obligea a continuer, serrant ses doigts entrelaces pour maitriser cette emotion.

— De plus, mon ecuyer, Gauthier Malencontre, a ete jete en prison le soir meme de mon arrivee. On a toujours refuse de me le rendre en alleguant que c'etait a vous d'en decider. C'est donc a vous, Monseigneur... - le mot eut du mal a passer

- que je m'adresse pour que me soient rendus mes serviteurs.

La main brune de Gilles s'abattit sur la table faisant sauter la vaisselle.

Votre ecuyer s'est mele d'affaires qui ne le concernaient pas. Il a blesse l'un de mes hommes et, normalement, il devrait etre pendu depuis longtemps. Pourtant, afin de vous etre agreable, j'ai decide de lui donner une chance de conserver sa miserable vie et d'aller se faire pendre ailleurs.

— Une chance ? Laquelle ?

— Demain, il sera mene hors de ce chateau. On le laissera prendre de la distance. Mais ensuite, je me lancerai a sa poursuite avec mes hommes et mes chiens. Si nous le reprenons, il sera pendu. S'il nous echappe, il pourra, bien entendu, aller ou bon lui semblera.

Catherine s'etait levee d'un mouvement si brusque que la chaise a haut dossier ou elle etait assise bascula et tomba a terre avec fracas. Pale jusqu'aux levres, elle darda sur Gilles des yeux fulgurants.

— Une chasse a l'homme, hein ? Divertissement raffine pour un seigneur qui s'ennuie ! Voila donc comment vous faites droit a ma requete ? Voila comment vous respectez la justice seigneuriale qui fait dependre mes gens de moi seule ?

— Vous etes en mon pouvoir. Je suis encore tres bon de vous accorder cette chance. Je vous rappelle que je pourrais brancher haut et court votre ribaud... et vous livrer vous-meme aux gens du Roi.

— Ne confondez pas ; aux gens de messire de La Tremoille ! Je ne crains rien des gens du roi Charles.

A son tour, Gilles s'etait leve. Son visage etait convulse de fureur et sa main, sur la table, cherchait un couteau.

— Vous changerez sans doute d'avis avant longtemps, belle dame ! Quant a moi, ma decision est formelle. Ce Gauthier jouera sa vie demain devant mes limiers. Si vous refusez, je le ferai pendre des ce soir. Quant a votre sorciere, elle peut remercier Satan, son maitre, que j'aie a savoir d'elle certaines choses car, sans cela, elle serait deja liee a quelque bon poteau avec des fagots autour d'elle. J'ai besoin d'elle, je la garde ! Plus tard, je verrai a decider de son sort.

Les dents serrees, pale de colere, Catherine toisa le sire de Rais. Sa voix sonna avec une incroyable durete tandis qu'elle lui lancait :

— Et vous osez porter les eperons d'or de chevalier ? Et vous osez vous dire marechal de France, porter les fleurs de lys dans vos armes ? Mais le dernier de vos valets a plus de loyaute et d'honneur que vous ! Pendez, brulez mes gens, faites-moi tuer, moi aussi, apres avoir livre a votre cousin votre compagnon d'armes, Arnaud de Montsalvy. Ma derniere parole sera pour prendre le ciel a temoin que Gilles de Rais est un traitre et un felon !

Au milieu de l'enorme silence qui s'etait abattu sur la grande salle ou les valets memes retenaient leur souffle, elle saisit sur la table la grande coupe d'or de Gilles, pleine de vin, et la lui jeta au visage.

— Buvez, monsieur le marechal, ceci est le sang des faibles !

Dedaignant la rumeur scandalisee que son geste avait soulevee, Catherine tourna le dos et, tete haute, le voile rouge de son hennin voltigeant derriere elle comme une oriflamme au combat, elle sortit de la salle. Lentement, Gilles de Rais essuya du revers de la main les gouttes rouges qui coulaient sur son visage et jusque dans sa barbe aux reflets bleus.

A peine hors de la salle, Catherine s'arreta un instant pour respirer profondement deux ou trois fois. De si violentes emotions etaient mauvaises pour son etat et elle etouffait dans sa robe. Un peu calmee, elle se dirigea lentement vers l'escalier pour regagner sa chambre. Elle avait deja monte quelques marches quand un bruit de course retentit derriere elle. L'instant suivant, elle se plaquait contre le mur de pierre avec un cri de frayeur. Le visage convulse de fureur, Gilles de Rais venait de bondir sur elle et l'empoignait a la gorge si brutalement qu'elle ne put retenir un gemissement. Ses doigts durs lui faisaient mal... Il s'en apercut sans doute car il serra plus fort.

Ecoutez-moi bien, Catherine ! Ne recommencez jamais ce que vous venez de faire ; ni rien de semblable si vous tenez a la vie. Quand on me bafoue, surtout publiquement, je ne me possede plus. Encore un geste comme celui-la et je pourrais vous etrangler.

Chose etrange, elle sentit qu'elle n'avait plus peur du tout. Il etait affreux pourtant, dans ce paroxysme de colere qui deformait chaque trait de son visage, et elle etait sure qu'il allait la tuer, mais ce fut d'une voix tres calme qu'elle repondit :

— Si vous saviez a quel point cela me serait egal...

— Comment ?

— Mais oui, cela me serait tout a fait egal, messire Gilles. Reflechissez. Arnaud, a cette heure, a peut-etre cesse de vivre ; demain vous ferez sans doute dechirer Gauthier par vos chiens, ensuite, j'imagine que ce sera le tour de ma bonne Sara. Comment voulez-vous, dans ce cas, que la vie m'interesse encore ? Tuez-moi, Messire, tuez-moi tout de suite si le c?ur vous en dit. Vous me rendrez grand service...

Ce n'etait pas la vaine bravade, mais absolue sincerite, verite si claire qu'elle traversa la fureur de Gilles. Peu a peu, sous le regard resigne de Catherine, sa figure se detendit. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais aucun son n'en sortit. Alors, il laissa retomber ses mains, se detourna et, secouant la tete, redescendit lourdement les quelques marches.

Toujours collee au mur, Catherine n'avait pas bouge. Quand les pas de Gilles se furent eteints dans les profondeurs des salles, elle poussa un profond soupir et, massant d'une main sa gorge douloureuse, continua de monter l'escalier.

Quand l'aube revint, Catherine, qui n'avait pas ferme l'?il de la nuit, n'eut aucune peine a quitter son lit. Elle savait que la chasse partirait aux premieres lueurs du jour et elle voulait monter sur la tour de guette pour essayer de suivre, du mieux qu'elle pourrait, la curee tragique. Le feu etait eteint dans la che minee et, sous la morsure du froid de l'aube, elle frissonna. Mais, dans la cour, on s'agitait et, dans sa hate, elle prit seulement le temps de s'envelopper, par-dessus sa chemise, d'une grande cape a capuchon qu'une agrafe d'argent en forme de feuille de lierre fermait au cou.

Elle allait sortir quand, glisse sous la porte, quelque chose de blanc attira son attention. C'etait un morceau de parchemin fin, plie, sur lequel on avait trace quelques mots. La lumiere etait si grise et si pauvre que Catherine dut revenir vers la fenetre pour dechiffrer le texte. Sept mots en tout, et une initiale : « Je ferai ce que je pourrai. Priez ! A. »

L'angoisse de Catherine s'allegea un peu, le poids se fit moins lourd dans sa poitrine. Si la vieille chatelaine etait pour elle, peut- etre Gauthier avait-il une chance de sortir vivant de cette effroyable aventure. Alors, brusquement, son parti fut pris

: cette chasse, elle la suivrait, dut-elle y laisser la vie !

Arrachant la cape, elle se hata d'enfiler une robe d'epais lainage, des bas, des souliers de cuir solide. Elle tressa ses cheveux serre sur ses oreilles, passa par-dessus un camail a capuchon qui encadrait juste l'ovale du visage et, sur le tout, remit sa grande cape. Elle n'oublia pas le petit reliquaire de saint Jacques et le fourra dans son corsage apres lui avoir adresse une bien etrange priere.

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