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Belle Catherine - Бенцони Жюльетта - Страница 22


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— Qu'est-ce que tu as, Catherine ? Mais elle se trouve mal... a l'aide !

Deja Anne de Craon qui les precedait avec plusieurs de ses dames d'atour revenait pour aider Sara a soutenir la jeune femme et s'ecriait, en passant un bras autour de sa taille :

— Il faut l'etendre... tenez, sur cette banquette d'herbe. Dame Alienor, allez me querir de l'eau fraiche et vous, Marie, courez au chateau. Dites que l'on apporte une civiere. Mais courez donc ! empotee que vous etes !

Les deux dames d'atour partirent comme des fleches pour executer les ordres de la chatelaine. Celle-ci, cependant, se penchait sur Catherine, etendue dans l'herbe, et scrutait son visage immobile et cireux. Elle braqua soudain sur Sara son regard imperieux.

— Pourquoi ne m'avez-vous pas dit qu'elle etait enceinte ?

— Enceinte ? fit Sara ahurie. Mais je ne vois pas...

Sara, en effet, ne savait pas ce qui s'etait passe dans la barque apres la nuit de la fuite.

— De qui ? fit Anne en riant. C'est ca que vous voulez dire ? Sur ce sujet, ma fille, votre maitresse doit en savoir plus long. Et ne me regardez pas avec ces yeux ronds. Voici Alienor qui revient, inutile de lui mettre la puce a l'oreille. C'est la pire bavarde de toute la province ! C'est meme pour cela que je la garde, ajouta la vieille dame en riant. Elle me distrait !

Peu a peu, Catherine reprenait ses esprits sous les compresses d'eau fraiche qu'Anne de Craon lui appliquait sur le front. Elle respirait plus librement et la vague nauseeuse se retirait, la laissant etrangement faible.

Et soudain, elle comprit ce qui lui arrivait. Elle rougit et, tout d'abord, eprouva une sorte de crainte. Se trouver amoindrie physiquement quand elle avait tellement besoin de toutes ses forces l'inquietait, mais ce ne fut qu'un instant.

Une subite bouffee de joie l'envahit quand elle realisa que l'enfant qu'elle portait etait aussi celui d'Arnaud. Le FILS

D'ARNAUD ! Car ce ne pouvait etre qu'un fils, aussi beau, aussi vaillant que son pere... et peut-etre d'aussi mauvais caractere, mais cette idee la fit sourire. Ainsi, l'elan d'amour qui les avait jetes l'un vers l'autre, au fond de la petite barque ou ils avaient trouve refuge apres avoir fausse compagnie a la mort, ce premier instant de liberte vraie et de bonheur sans alliage allait avoir un prolongement de chair et de sang ? Rien de plus merveilleux pouvait-il arriver pour l'unir plus etroitement a celui qu'elle aimait si passionnement : un petit enfant ? Un instant, sa pensee retourna vers l'enfant qu'elle avait perdu, le petit Philippe, qui etait mort loin d'elle, dans les bras d'Ermengarde de Chateauvillain. Le remords, longtemps, l'avait poursuivie. Elle s'etait reproche durement de n'avoir pas suffisamment veille sur lui, de l'avoir delaisse pour une existence fastueuse, encore qu'il eut trouve aupres d'Ermengarde tout l'amour dont il avait pu avoir besoin. Et elle s'etait demande pourquoi elle put demeurer si longtemps loin de lui. Peut-etre parce qu'elle n'eprouvait pas d'amour vrai pour le pere... Le petit Philippe, par droit de naissance, portait dans ses veines enfantines le sang royal de France. C'etait trop haut pour elle, trop imposant, et elle comprenait maintenant que, pour elle, l'enfant etait surtout, avant tout, le fils du duc de Bourgogne.

Mais celui qui allait venir, celui qui deja bouleversait son corps, reclamait sa part de sa propre vie, celui-la serait vraiment la chair de sa chair, son amour incarne. Quelque chose que lui avait dit, jadis, au temps ou elle attendait le petit Philippe, son ami Abou-al-Khayr, le medecin maure, lui revint.

« Maintenant que tu suis la lumiere que l'enfant trace, toute autre voie serait le chemin de la nuit... »

— Comme Arnaud sera content quand il saura... murmura pour elle-meme Catherine transfiguree de joie.

— A condition que nous arrivions a le lui dire, bougonna Sara qui avait entendu.

Mais Catherine refusait de laisser ternir, si peu que ce fut, son bonheur present. Toute la journee, et toute la nuit, au son des violes et des tambourins qui enfilaient rondes et caroles pour faire danser les bonnes gens de Champtoce, elle berca son reve sous la garde d'une Sara a la fois reticente et attendrie.

Pendant le mois d'aout, Catherine fut si malade qu'elle crut mourir cent fois. Des nausees la secouaient continuellement.

Son estomac revolte ne tolerait aucune nourriture et des vomissements incoercibles la vidaient regulierement du peu de force qu'elle pouvait tenter de recuperer. Une chaleur accablante, qui traversait meme les murs enormes de Champtoce, incendiait dans la campagne les meules de paille trop seche, abattait les betes dans les champs et assechait les fontaines, acheva de l'eprouver. Tout le jour, un implacable soleil brillait dans un ciel blanc. les puits tarissaient et l'eau potable devenait aussi precieuse que l'or. Il n'etait pas jusqu'a la Loire qui ne s'assechat en grande partie, montrant ses fonds sableux comme un tissu usage montre sa trame. Pourtant, Catherine ne se plaignait pas. Si accablee qu'elle fut par ses malaises, elle les supportait stoiquement parce que c'etait l'enfant d'Arnaud qui les lui infligeait. Seulement, quand elle se sentait trop epuisee, elle craignait que les choses ne tournassent mal et qu'elle en vint a perdre son fruit.

Tout le jour, elle demeurait etendue dans son lit, couverte seulement d'un drap mince, derriere l'abri des volets clos que l'on n'ouvrait pas avant que le soleil baissat. Sara lui tenait compagnie et, souvent aussi, la dame de Craon dont la canicule avait interrompu les galopades. L'intrepide chasseresse s'en consolait en passant aupres de Catherine d'interminables heures a lui conter ses exploits des annees precedentes. Seul, Jean de Craon ne franchissait jamais le seuil de la chambre. Chaque matin, il faisait prendre, correctement, des nouvelles de sa prisonniere par un page, mais n'en relachait pas pour autant sa surveillance. A travers ce que lui racontait la chatelaine, Catherine arrivait a comprendre assez clairement la mentalite du vieux seigneur. Elle tenait en peu de mots : l'amour exclusif, passionne et aveugle qu'il portait a son petit-fils. Gilles, pour Jean de Craon, c'etait sa race incarnee, son dieu, l'etre pour la puissance et la gloire duquel il etait pret a tous les crimes.

— Gilles n'etait encore qu'un enfant, disait Anne, que mon epoux, afin de lui donner une idee exacte de sa puissance, l'encourageait a tuer, piller, bruler ses propres villages. Il faisait trainer devant lui les coffres pleins d'or en lui disant que c'etait son bien, qu'il pouvait en faire ce qu'il voulait, que l'or etait le souverain pouvoir, la clef de toute jouissance.

— Il n'est pas difficile de deviner quelle peut etre la mentalite profonde du marechal, repondait Catherine. Il n'aime que lui-meme, je pense ?

— C'est exact et, souvent, je l'ai deplore, mais jamais autant que lorsqu'il a enleve Catherine, ma petite-fille. J'ai pressenti qu'elle ne pourrait qu'etre malheureuse. C'est pourquoi j'ai accepte d'epouser mon seigneur... Tant que je serai vivante, je pourrai proteger Catherine.

— Pourtant, il ne vous viendrait pas a l'idee de vous elever contre les decisions de votre epoux ?

— Non. Il est mon epoux, justement. C'est lui le maitre et, moi, je dois obeir.

Le mot etait curieux dans la bouche de cette femme orgueilleuse, mais Catherine etait trop faible pour s'en etonner longtemps. Ce qui lui manquait le plus, c'etait de n'avoir pas revu Gauthier. Elle savait qu'il etait detenu dans la tour de l'est, et qu'il prenait son mal en patience, voire avec une certaine philosophie. Sa prison etait propre, relativement saine, et il y faisait somme toute plus frais que dans le reste du chateau. On le nourrissait convenablement et il n'ignorait pas que son sort faisait partie d'un mysterieux marche qui devait se debattre entre Catherine et Gilles de Rais. Il se reservait seulement le droit de vendre cherement sa vie si jamais on la lui demandait. Pour le moment, seule l'inaction lui pesait et ses geoliers visitaient chaque matin, soigneusement, sa cellule, afin de s'assurer qu'il n'avait pas commence a demolir le chateau pierre par pierre. Cette visite etait d'ailleurs faite regulierement par une escouade de dix hommes tant la force du geant imposait le respect a ses gardiens. Ceremonie qui avait le don de dechainer l'hilarite du prisonnier et qu'il suivait toujours en riant aux eclats. Certes, Gauthier ne se tourmentait aucunement pour son propre sort. Seul, l'etat de Catherine parvenait a l'assombrir. C'etait, bien entendu, Anne de Craon qui avait raconte tout cela a la jeune femme.

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