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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 55


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Ce n'est pas pour reveiller ta melancolie que je te l'ai fait apporter maintenant, dit-il doucement, mais pour te faire comprendre que le temps, ni les hommes ne changent autant que tu le crois. Il arrive que le temps revienne.

— Celui du duc de Bourgogne est bien mort !

— Ce n'est pas a celui-la que je faisais allusion, mais aux heures merveilleuses que t'a donnees l'amour.

— Il m'en a donne si peu !

— Assez cependant pour que leur souvenir emplisse ta vie... et ne s'efface pas aisement de celle de ton epoux.

— Comment le savez-vous ?

— Qui donc aurait pu me dire ce qu'a ete votre vie... sinon lui-meme ?

Instantanement, le regard de Catherine flamba tandis qu'une rougeur montait a ses joues.

— Est-ce que... vous l'avez vu ?

— Bien entendu, fit Abou avec un sourire. Oublies- tu que nous etions de grands amis, jadis ? Il s'est souvenu de moi, lui aussi, et que j'habitais en cette ville. A peine arrive en Al Hamra, il m'a fait demander.

— Et vous avez pu parvenir jusqu'a lui ?

— Je suis le medecin... et l'humble ami de notre Calife qui me traite bien. Je dois t'avouer, cependant, que la princesse Zobeida, dont ton epoux est le prisonnier, ne m'aime guere depuis que j'ai sauve de la mort la sultane Amina, qu'elle hait. Je dirais meme qu'elle me deteste et qu'il a fallu l'immense desir qu'elle avait de plaire au «

seigneur franc » pour qu'elle accepte de me faire appeler. Toujours est-il que j'ai pu, pendant une grande heure, causer avec messire Arnaud.

— Vous avez dit qu'il etait le prisonnier de cette femme, lanca Catherine, le visage soudain deforme par une violente poussee de jalousie. Pourquoi ce mensonge ? Pourquoi n'avez-vous pas employe le bon terme, vous qui connaissez si bien la valeur des mots ?

Pourquoi n'avez-vous pas dit son amant ?

— Mais... parce que je n'en sais rien ! fit Abou avec simplicite.

C'est le secret des nuits d'Al Hamra... ou beaucoup de serviteurs sont muets.

Catherine hesita un instant puis, se decidant :

— Est-il vraiment... gueri de la lepre ?

— Il n'a jamais eu la lepre ! Il est des maladies qui ressemblent au mal maudit... mais que ne connaissent pas vos medecins d'Occident.

Le medecin de la princesse, Hadji Rahim, est un saint homme qui a fait le Grand Pelerinage, ce qui ne l'empeche pas d'etre, selon moi, un ane solennel. Mais il a tout de meme vu au premier coup d'?il que ton epoux n'avait pas la lepre. Pour s'en assurer il n'a eu qu'a approcher le bras de messire Arnaud d'une flamme. Ton epoux a hurle, preuve que la sensibilite etait intacte chez lui.

— Quelle etait alors cette maladie etrange ? J'ai vu, de mes yeux, les taches blanchatres de ses bras...

— A l'ecole de Salerne, la celebre Trotula appelait ce mal vitiligo, ou tache blanche. Et j'ai bien peur que, dans vos maladreries, il y ait nombre de malheureux atteints de ce mal, benin en general, et que vos ignorants de physiciens confondent trop souvent avec la lepre.

II y eut un nouveau silence. Aussi immobiles que des statues, Gauthier et Josse ne sonnaient mot. Ils ecoutaient seulement, de toutes leurs oreilles, attendant que l'heure fut venue de donner leur avis, si on le demandait. Ce silence, Catherine l'employa a rassembler ses forces.

Les questions qu'elle avait encore a poser etaient les plus cruelles.

Vint la premiere.

— Pourquoi Arnaud a-t-il suivi cette femme ? demanda-t-elle d'une voix rauque. L'a-t-il dit ?

— Pourquoi le captif suit-il son vainqueur ?

— Mais de quoi est-il captif? de la force... ou de l'amour ?

— De la force, j'en suis certain, car il ma raconte comment les Nubiens de Zobeida l'ont capture pres de Tolede. Quant a l'amour, il est possible qu'il soit venu ajouter ses liens a ceux de la contrainte...

mais il ne me l'a pas dit. J'en doute un peu.

— Pourquoi ?

Tu ne devrais pas me demander cela. La reponse ne te fera pas plaisir

: parce qu'Arnaud de Montsalvy ne croit plus a l'amour veritable. Il dit que, puisque tu as pu oublier pour un autre la passion qui vous unissait, aucune autre femme ne saura lui donner d'amour sincere et pur !

Catherine recut le choc courageusement. Elle savait etre honnete avec elle-meme et ses coquetteries avec Pierre de. Breze n'etaient pas pres de s'effacer de sa memoire. Elle se les etait si souvent reprochees... surtout cette malheureuse nuit du verger de Chinon ou Bernard d'Armagnac l'avait surprise dans les bras du beau chevalier, deja abandonnee.

— J'ai merite cela ! dit-elle simplement. Mais la, force d'attraction de l'amour est grande et cette femme... l'aime ?

— Passionnement ! Avec une frenesie qui etonne et terrifie son entourage. L'empire du « seigneur franc » sur Zobeida est absolu. Il a tous les droits... hormis celui de regarder une autre femme. En ce cas, malheur a celle qui a su obtenir un sourire ou une parole aimable !

Elle est aussitot livree au bourreau. Une dizaine d'entre elles sont mortes ainsi. Aussi, les servantes de Zobeida n'osent-elles meme plus lever les yeux vers l'homme qu'elle aime de cet amour sauvage. Elles le servent a genoux, mais aussi etroitement voilees que si elles etaient dans la rue. Car, contrairement a notre coutume qui veut que les hommes vivent separes des femmes, c'est dans le jardin meme de Zobeida que s'eleve le pavillon ou vit messire Arnaud...

— Et le Calife accepte cela ?

Abou-al-Khayr haussa les epaules.

Pourquoi non ? Pour lui, tant qu'il n'aura pas accepte d'embrasser l'Islam, ton epoux n'est qu'un captif chretien comme un autre. Il le considere comme le jouet de sa farouche s?ur, rien de plus. D'ailleurs, le sultan Muhammad connait trop les fureurs de Zobeida pour oser la contrarier. Les Nasrides sont une etrange famille... ou l'on meurt aisement, comme tu l'apprendras par la suite. Se maintenir au trone est une lutte epuisante et quand tu sauras que Muhammad VIII a du reprendre le sien deux fois, tu comprendras mieux. Ce palais rose cache un nid de viperes. Y evoluer est dangereux...

— C'est pourtant ce que je veux faire. Je veux y entrer.

La stupeur coupa un instant le souffle d'Abou tandis que Josse et Gauthier, pour la premiere fois depuis de longues minutes, faisaient entendre une protestation.

— Tu veux entrer en Al Hamra ? articula enfin Abou. As-tu perdu l'esprit ? Ce n'est pas ce qu'il faut faire. Bien que Zobeida me deteste, je vais, moi, me rendre chez elle, sous un pretexte ou sous un autre, afin de dire a ton epoux que tu es chez moi. Je lui avais predit que tu viendrais d'ailleurs.

— Qu'a-t-il dit ?

— Il a souri, hoche la tete negativement : « Pourquoi viendrait-elle

? m'a-t-il dit. Elle a tout ce qu'elle a toujours cherche : amour, honneurs, richesse... et l'homme qu'elle a choisi est de ceux qui savent garder une femme. Non, elle ne viendra pas. »

— Comme il me connaissait mal ! soupira Catherine amerement.

C'est vous qui aviez raison.

— Et j'en suis heureux ! Je vais donc me rendre aupres de lui et...

Il n'alla pas plus loin. La main de Catherine s'etait posee sur son bras pour l'arreter.

— Non... Cela ne peut me convenir, et pour deux raisons : la premiere est qu'apprenant ma presence, ou bien Arnaud vous dira que j'ai cesse d'exister pour lui... et j'en mourrai, ou bien il cherchera a me rejoindre, mettant ainsi son existence en peril.

— Voila en effet une raison. Et la seconde ?

La seconde est que je veux voir, vous entendez, voir de mes yeux, quels sont ses rapports avec cette femme. Je veux savoir s'il l'aime, comprenez-vous ? Si elle a vraiment su me chasser de son c?ur, je veux compter leurs baisers, epier leurs caresses. Je n'ai pas d'illusions, sachez-le. Je me vois telle que je suis. C'est- a-dire assez loin d'une jouvencelle. Quant a cette Zobeida, sa beaute, tout a l'heure, m'a jetee dans le desespoir... pourquoi donc n'aurait-elle pas reussi a gagner son c?ur ?

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