Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 39
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Elle fit volte-face. Au fond de l'appartement, pres d'une fenetre a colonnettes, deux jeunes servantes, agenouillees aupres d'un grand coffre de cuir peint et dore, ouvert et debordant, tiraient d'etincelantes soieries qu'elles jetaient ensuite sur le dallage rouge. Du fond de la panique qui l'avait emportee, Catherine ne les avait meme pas vues.
Elle se frotta les yeux, rendue a la realite. Non... il n'etait pas possible de fuir. Il y avait Gauthier, son ami Gauthier, qu'elle ne pouvait pas abandonner ! Un sanglot se noua dans sa gorge, eclata en un faible gemissement. Fallait-il qu'elle fut toujours prisonniere de son c?ur, des liens qu'il avait tisses autour d'elle avec les uns ou les autres ?
Genee d'avoir ete surprise en pleine faiblesse, en plein desarroi, elle repondit, machinalement, au sourire timide des petites servantes qui lui offraient, a l'envi, brocarts dores ou argentes, satins luisants ou velours moelleux, les robes d'une s?ur defunte de l'archeveque. Les deux jeunes filles s'approcherent et, la prenant chacune par une main, l'entrainerent vers un tabouret bas sur lequel elles la firent asseoir, puis, sans autre preambule, elles se mirent a la deshabiller. Catherine se laissa faire sans protester, l'esprit ailleurs, retrouvant sans efforts les habitudes d'autrefois, quand elle se livrait pendant de longues minutes aux soins devotieux des servantes que dirigeait Sara.
En evoquant sa vieille amie, Catherine mesura d'un seul coup sa solitude. Que n'aurait-elle pas donne pour que, ce soir, Sara fut aupres d'elle ! Comment donc aurait reagi la zingara apres l'affolante rencontre ? se demanda la jeune femme. Et la reponse vint aussitot, immediate et claire. Sara, sans autres atermoiements, se fut lancee sur la trace du fantome, elle l'eut poursuivi, force dans son silence. Elle lui eut arrache la verite.
— Moi aussi, fit Catherine d'une voix songeuse. Il faut que je sache
!
C'etait l'evidence meme ! Il n'y aurait plus ni treve ni repos si elle ne plongeait pas jusqu'au c?ur du mystere. Tout a l'heure, le moine, absorbe par sa lecture, ne l'avait meme pas vue. Il fallait qu'il la voie, nettement, en pleine lumiere. Sa reaction la renseignerait. Ensuite...
Catherine s'interdit de penser a ce qui viendrait ensuite. Mais elle savait d'avance qu'elle etait de nouveau prete au combat. Rien ni personne, pas meme un spectre revenu du royaume des morts, ne la detournerait d'Arnaud. Il fallait que Garin fut mort, bien mort, pour que son amour put vivre ! D'ailleurs, s'il avait echappe a la mort, il ne souhaitait sans doute pas revenir vers sa vie d'autrefois, sinon pourquoi ce costume, pourquoi cette vie terree au fond d'une forteresse de la vieille Castille ? L'homme etait moine, donne a Dieu, lie a Dieu aussi etroitement qu'elle etait liee a son epoux. Et Dieu ne lachait jamais ses proies. Mais elle voulait tout de meme savoir !...
L'air plus frais de la nuit qui entrait par la fenetre ouverte la fit frissonner. Les petites servantes l'avaient lavee sans mene qu'elle s'en rendit compte et frottaient maintenant sa peau nue d'huile fine et d'essences rares. Du doigt, au hasard, elle designa l'une des amples robes qui l'environnaient. Un flot de soie jaune soleil passa par-dessus sa tete pour retomber ensuite autour d'elle en plis innombrables et lourds, mais elle avait trop d'angoisse au c?ur pour etre sensible a la caresse du tissu. Elle avait adore les robes somptueuses, les tissus merveilleux, mais il y avait longtemps de cela. A quoi bon une toilette flatteuse si ce n'etait pas pour le regard de l'homme aime ?
La-bas, au fond de la grande piece, les servantes ouvraient les courtines brodees d'un haut lit d'ebene incruste d'ivoire, preparaient la couverture, mais elle leur fit signe qu'elle ne souhaitait pas se coucher encore. Elle ne pourrait pas dormir avec toutes ces questions sans reponse qui tournaient dans sa tete. D'un pas ferme, trainant apres elle la soie bruissante de sa robe, Catherine se dirigea vers la porte, l'ouvrit. Josse etait debout sur le seuil. La stupeur en la decouvrant ainsi paree lui arrondit les yeux un instant, mais son lent sourire suivit aussitot.
— C'est fini, dit-il. Les esclaves du Maure ont porte notre blesse dans un lit. Voulez-vous le voir avant de dormir ?
Elle fit signe que oui, referma la porte derriere elle et, prenant le bras de Josse, s'engagea dans la longue galerie ou, tout a l'heure, le fantome avait disparu. Des torches l'eclairaient de place en place.
Catherine allait d'un pas rapide, la tete droite, les yeux fixes devant elle, mais Josse, a son cote, l'observait. Il dit enfin :
— Vous avez un souci, dame Catherine. C'etait une affirmation, non une question.
— Je me tourmente pour Gauthier, c'est normal !
— Non. Vous n'aviez pas, quand vous avez quitte la chambre de la tour, ce visage tendu, ce regard traque. Il vous est arrive quelque chose. Quoi ?
— Je devrais savoir que vous avez des yeux qui voient meme au c?ur de la nuit, fit-elle avec l'ombre d'un sourire.
Et, aussitot, sa decision fut prise. Josse etait intelligent, souple, habile et plein d'astuce. S'il ne pouvait entierement remplacer Sara, du moins Catherine savait qu'elle pouvait lui faire confiance.
— C'est vrai ! avoua-t-elle. J'ai fait, tout a l'heure, une rencontre qui m'a impressionnee. Dans cette galerie, j'ai apercu un moine. Il etait grand, maigre, avec des cheveux gris, un visage qui avait l'air taille dans de la pierre et, surtout, il portait un bandeau noir sur un ?il. Je voudrais savoir qui est ce moine. II... il ressemble d'une facon effrayante a quelqu'un que j'ai beaucoup connu et que je croyais mort.
De nouveau Josse sourit.
— Ce sera fait. Je vous mene a la chambre de Gauthier et je vais aux renseignements.
Il la laissa a la porte d'une piece situee dans le donjon meme, mais bien au-dessous de celle du Maure, puis disparut au tournant de l'escalier, aussi vite et aussi legerement qu'un courant d'air.
Doucement, Catherine entra.
De dimensions infiniment plus reduites que la sienne, cette chambre n'offrait guere qu'un lit, qui semblait avoir du mal a contenir l'immense carcasse du Normand, et deux tabourets. Sur la pointe des pieds, Catherine s'avanca. Couche sur le dos, sa tete rasee enveloppee d'un volumineux pansement, Gauthier dormait, eclaire par la lumiere incertaine d'une chandelle posee sur l'un des tabourets. Son visage etait calme, detendu, mais il parut a Catherine anormalement rouge.
Elle pensa que, peut-etre, il avait de la fievre et se pencha pour prendre sa main posee sur le drap, mais une autre main l'arreta. De l'ombre des rideaux, elle vit sortir Hamza, un doigt sur les levres.
— Je lui ai donne une puissante drogue pour le faire dormir, chuchota-t-il. Sinon, la souffrance pourrait compromettre la guerison.
Laissez-le, la fievre monte.
— Il guerira ?
— Je l'espere ! Le cerveau n'avait aucune lesion et la constitution de cet homme est exceptionnelle, mais on ne peut jamais savoir si quelques traces ne resteront pas.
Ils sortirent tous deux. Hamza conseilla a Catherine d'aller prendre du repos, assurant que don Alonso dormait, quant a lui, depuis longtemps. Puis, l'ayant saluee, il remonta vers son laboratoire, laissant la jeune femme redescendre seule. Lentement, elle traversa la cour de la seconde enceinte, respirant les odeurs de la campagne endormie. Toutes les plantes sauvages, que le soleil avait chauffees durant le jour, exhalaient leurs senteurs puissantes. L'air embaumait le thym et la marjolaine. Les emotions brutales qu'elle venait d'eprouver donnaient a Catherine un desir profond de paix et de silence.
Tout autour d'elle, la masse rouge du chateau s'etait fondue dans la nuit. Aucun bruit ne se faisait entendre, hormis, de temps en temps, le pas lent d'une sentinelle ou le cri d'un oiseau nocturne. Elle s'attarda un moment sous les arcades ou les azulejos brillaient comme un satin sous la lune, cherchant a analyser les battements desordonnes de son c?ur. Puis, songeant que, peut-etre, Josse l'attendait deja dans sa chambre, elle se dirigeait vers l'escalier pour remonter chez elle quand, soudain, le page Tomas de Torquemada surgit de derriere un pilier. La jeune femme sursauta, desagreablement impressionnee par cette habitude qu'il avait d'apparaitre ici ou la sans que l'on ait pu l'entendre approcher, comme s'il etait le sombre genie de cette demeure seigneuriale. Mais, cette fois, la surprise fut reciproque. En face de la jeune femme environnee du rayonnement lumineux de sa robe, aureolee par ses cheveux d'or simplement releves sur le front et rejetes en arriere, l'inquietant garcon se figea, meduse.
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