Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта - Страница 35
- Предыдущая
- 35/101
- Следующая
— Quel affreux pays ! Est-ce ainsi jusqu'a Grenade ?
— Heureusement non ! repondit Josse avec son curieux sourire a levres closes. Mais je dois dire que nous n'en avons pas encore fini avec le desert.
— Ou coucherons-nous, ce soir ?
— Je l'ignore. Comme vous pouvez le constater, il n'y a pas beaucoup de villages. Encore la majeure partie de ceux qu'il y avait sont-ils en ruine et desertes. La grande Peste Noire, au siecle passe, a ravage les villes et depeuple les campagnes.
— Il y a tout de meme encore des vivants ! bougonna Catherine.
Et, depuis un siecle, ils auraient peut- etre eu le temps de faire pousser du ble !
— Vous comptez sans la Mesta !
— Qu'est-ce que c'est que cela ?
— La corporation des eleveurs de moutons. Ils sont l'une des rares puissances productives de ce pays. Leurs immenses troupeaux changent de region suivant les saisons et aucune barriere ne doit les arreter. Comment voulez-vous faire pousser quoi que ce soit dans ces conditions ? Tenez, regardez !
Du manche de son fouet, Josse designait, sur l'horizon pale, une large tache d'un brun fonce, qui semblait onduler.
— Il y a la plusieurs centaines de tetes, mais vous pouvez voir qu'ils sont bien gardes.
En effet, l'habituelle silhouette pastorale des bergers, dans leurs longs vetements, se doublait de quelques cavaliers montes sur des mules, aussi rustiques que leurs compagnons, mais portant a la ceinture de larges coutelas. Josse haussa les epaules.
— Ces betes sont la richesse de quelques-uns. Le reste du peuple des campagnes vit dans une affreuse misere. Mais, avec un peu de chance, nous trouverons peut-etre un chateau ou bien un moutier quelconque pour nous accueillir...
— Arrangez-vous pour qu'il y ait un ruisseau, une riviere ou meme une simple mare dans les environs. Il y a longtemps que je ne me suis sentie aussi sale...
Josse lui jeta un coup d'?il railleur et, de nouveau, haussa les epaules.
— Comme c'est facile ! L'eau, dame Catherine, est ici plus rare encore que la nourriture.
Decouragee, la jeune femme poussa un profond soupir et se tassa sur son siege.
— Decidement, la vie n'a aucun sens... soupira-t-elle. Et dans combien de temps serons-nous a Coca ?
Dans cinq jours si ces deux bestiaux veulent bien enfin consentir a marcher du meme pas au lieu d'aller chacun de son cote !
Et, dans l'espoir fallacieux de charmer son attelage, Josse entama une chanson a boire d'une voix si abominablement fausse que Catherine fit la grimace.
— Qu'esperez-vous ? fit-elle goguenarde. Qu'il va pleuvoir ou bien que ces animaux prendront le mors aux dents ?
Mais sa mauvaise humeur etait dissipee. Elle reprit meme le refrain avec Josse et, ainsi, la route lui parut moins monotone.
Malgre l'evidente mauvaise volonte de ses chevaux, Josse tint parole. Le voyage ne dura que cinq jours. Cinq jours sans histoire, moins penibles que ne l'avait craint Catherine. Dans les rares villages, les petites villes ou aupres des bergers, ils purent se procurer contre quelques pieces de monnaie du fromage, des galettes de ble noir et du lait. Catherine trouva meme la riviere de ses reves pres de la petite ville de Lerma ou des multitudes d'outres en peau de chevre sechaient au soleil, pendues a tous les toits. L'eau etait encore froide, mais le temps, brusquement, s'etait installe, sans preavis, dans l'ete. Au vent, a la pluie aigre avait succede une chaleur inattendue qui avait rendu plus insupportable a la jeune femme le manque d'eau et de soins corporels. La vue de l'eau l'avait dechainee. C'est tout juste si elle avait permis a Josse de l'eloigner un peu de la cite. Sans souci d'etre vue, prenant a peine le temps d'ordonner a Josse de se detourner, elle avait arrache ses vetements et s'etait jetee a l'eau, la tete la premiere.
Tout cela si vite que son corps mince n'avait brille qu'un instant dans le soleil avant de disparaitre sous l'eau.
De tous les bains pris dans sa vie, celui-ci avait paru a Catherine le meilleur bien que le flot ne fut pas d'une extreme limpidite. Elle avait nage avec delices, un long moment, traversant la riviere et la retraversant avant de chercher l'abri d'un rocher pour frotter soigneusement chaque partie de son corps. Elle aurait donne beaucoup a ce moment pour un morceau de ce merveilleux savon parfume qu'en Flandre bourguignonne on fabriquait jadis tout expres pour la belle maitresse du Grand Duc d'Occident. Mais c'etait vraiment la seule chose qu'elle regrettat de sa vie passee ! Elle n'en profita pas moins intensement de son bain. De temps en temps, elle jetait un coup d'?il du cote de Josse et de l'attelage. L'ancien truand paraissait change en statue. Assis bien raide sur son banc, il fixait obstinement les oreilles des chevaux qui en profitaient pour brouter quelques touffes d'herbe rare.
Quand elle se jugea suffisamment propre, Catherine sortit de l'eau et se drapa hativement dans sa chemise. Mais elle ne remit pas ses habits de cavalier. La chaleur nouvellement nee en rendait penible l'epaisse laine presque brute et, de plus, ils etaient raides de crasse.
Apres la fraicheur printaniere de l'eau, leur odeur de sueur lui parut intolerable. Dans son bagage, elle prit une robe de fine laine grise, une chemise propre et des bas sans trous qu'elle alla revetir un peu plus loin.
Lorsqu'elle revint, un moment plus tard, Seche et recoiffee, elle constata que Josse n'avait pas bouge d'une ligne. Elle ne put s'empecher de lui lancer, malicieusement :
— Eh bien, Josse ! L'eau fraiche ne vous tentait pas apres tant d'efforts et tant de poussiere ?
— Je n'aime pas l'eau ! fit Josse d'un ton si morne que la jeune femme eclata de rire.
— Pour la boire, je veux bien. Mais c'est bien bon de se laver.
Pourquoi n'etes-vous pas venu me rejoindre ?
Elle avait pose la question en toute innocence et sa surprise fut grande en voyant Josse devenir ecarlate. Il se racla la gorge pour s'eclaircir la voix, mais celle-ci demeurait tout de meme curieusement enrouee quand il declara :
— Grand merci, dame Catherine... mais cette eau ne me disait rien
! — Et pourquoi donc ?
— Parce que...
Il hesita un instant puis, prenant une profonde respiration comme quelqu'un qui prend son parti :
— Parce que je la crois dangereuse !
— Dangereuse ? Et vous m'avez laissee m'y baigner ? persifla Catherine qui jouissait profondement de l'embarras du garcon.
— Elle ne l'etait pas pour vous !
— Je comprends de moins en moins !
Josse, visiblement au supplice, avait l'air aussi mal a l'aise sur son siege que si celui-ci eut ete compose de barres rougies au feu. Il s'obstinait a regarder devant lui, mais, tout a coup, il tourna la tete, croisa le regard amuse de Catherine et declara avec beaucoup de dignite :
— Dame Catherine, j'ai toujours ete un homme raisonnable, c'est ce qui m'a permis de vivre jusqu'ici et me permettra encore, du moins je l'espere, d'atteindre un age avance. J'ai longtemps traine mes semelles usees et mon ventre creux sur les paves de Paris. La-bas, meme et surtout lorsque je mourais de faim, j'evitais l'approche des rotisseries, ou se doraient au feu, en repandant une si bonne odeur, tant de beaux chapons dodus auxquels je ne pouvais pretendre. Je ne sais si je me fais bien comprendre ?
— C'est tout a fait clair ! fit Catherine en regrimpant sur son siege aupres de lui.
Elle avait cesse de sourire et, dans le regard qu'elle adressa a son compagnon, il y avait quelque chose qui ressemblait a du respect et a de l'amitie. Puis elle ajouta, d'un ton parfaitement neutre :
— Je vous demande pardon, Josse. J'ai eu, d'un seul coup, envie de vous taquiner !
— De me taquiner ou de me mettre a l'epreuve ?
— Les deux peut-etre, admit Catherine avec franchise. Mais vous avez brillamment passe votre examen. Partons-nous, maintenant ?
- Предыдущая
- 35/101
- Следующая