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Contes merveilleux, Tome I - Andersen Hans Christian - Страница 30


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– Comment s'appelle-t-elle, cette dame? demanda le petit garcon.

– Oh! bien sur, les Romains et les Grecs auraient dit que c'etait une dryade, mais nous ne connaissons plus tout ca. Ici, a Nyboder, on l'appelle «la fee du Sureau». Regarde-la bien et ecoute-moi…

Il y a a Nyboder un arbre tout fleuri pareil a celui-ci; il a pousse dans le coin d'une petite ferme tres pauvre. Sous son ombrage, par une belle apres-midi de soleil, deux bons vieux, un vieux marin et sa vieille epouse etaient assis. Arriere-grands-parents deja, ils devaient bientot celebrer leurs noces d'or, mais ne savaient pas au juste a quelle date. La fee du Sureau, assise dans l'arbre, avait l'air de rire. "Je connais bien, moi, la date des noces d'or!" Mais eux ne l'entendaient pas, ils parlaient des jours anciens.

– Te souviens-tu, disait le vieux marin, du temps que nous etions petits, nous courions et nous jouions justement dans cette meme cour ou nous sommes assis et nous piquions des baguettes dans la terre pour faire un jardin.

– Bien sur, je me rappelle, repondit sa femme. Nous arrosions ces branches taillees et l'une d'elles, une branche de sureau, prit racine, bourgeonna et devint par la suite le grand arbre sous lequel nous deux, vieux, sommes assis.

– Oui, dit-il, et la, dans le coin, il y avait un grand baquet d'eau, mon bateau, que j'avais taille moi-meme, y naviguait! Mais bientot, c'est moi qui devais naviguer d'une autre maniere.

– Mais d'abord nous avions ete a l'ecole pour tacher d'apprendre un peu quelque chose; puis ce fut notre confirmation, on pleurait tous les deux. L'apres-midi, nous montions tout au haut de la Tour Ronde, la main dans la main, et nous regardions de la-haut le vaste monde, et Copenhague et la mer. Apres, nous sommes alles a Frederiksberg, ou le roi et la reine, dans leurs barques magnifiques, voguaient sur les canaux.

– Mais je devais vraiment voguer tout autrement, et durant de longues annees, et pour de grands voyages!

– Ce que j'ai pleure a cause de toi! dit-elle, je croyais que tu etais mort et noye, tombe tout au fond de la mer. Souvent, la nuit, je me levais et regardais la girouette pour voir si elle tournait. Elle tournait tant et plus, mais toi tu n'arrivais pas. Je me souviens si bien de la pluie torrentielle qui tombait un jour. Le boueur devait passer devant la maison ou je servais; je descendis avec la poubelle et restai a la porte. Quel temps! Et comme j'attendais la, le facteur passa et me remit une lettre, une lettre de toi! Ce qu'elle avait voyage! Je me jetai dessus et commencai a lire, je riais, je pleurais, j'etais si heureuse! Tu ecrivais que tu etais dans les pays chauds ou poussent les grains de cafe. Quel pays beni ce doit etre! Tu en racontais des choses, et je lisais tout ca debout, ma poubelle pres de moi, tandis que la pluie tombait en tourbillons. Tout d'un coup, derriere moi, quelqu'un me prit par la taille…

– Et tu lui allongeas une bonne claque sur l'oreille…

– Mais je ne savais pas que c'etait toi! Tu etais arrive en meme temps que la lettre et tu etais si beau!… Tu l'es encore. Tu avais un grand mouchoir de soie jaune dans la poche et un suroit reluisant. Tu etais tres elegant. Dieu, quel temps et comme la rue etait sale!

– Ensuite nous nous sommes maries, dit-il; tu te souviens quand nous avons eu le premier garcon, et puis Marie, et Niels et Peter et Hans Christian?

– Oui, tous grands et tous de braves gens que tout le monde aime.

– Et leurs enfants, a leur tour, ont eu des petits! dit le vieil homme, de solides gaillards aussi! Il me semble que c'est bien a cette epoque-ci de l'annee que nous nous sommes maries?

– Oui, c'est justement aujourd'hui le jour de vos noces d'or, dit la fee du Sureau en passant sa tete entre eux deux. Ils crurent que c'etait la voisine qui les saluait, ils se regardaient, se tenant par la main.

Peu apres arriverent les enfants et petits-enfants; ils savaient, eux, qu'on fetait les noces d'or, ils avaient deja le matin apporte leurs voeux. Les vieux l'avaient oublie, alors qu'ils se rappelaient si bien ce qui s'etait passe de longues annees auparavant.

Le sureau embaumait, le soleil couchant illuminait les visages des vieux et les rendait tout rubiconds, le plus jeune des petits enfants dansait tout autour et criait, tout heureux que ce fut jour de fete, qu'on allait manger des pommes de terre chaudes. La fee du Sureau souriait dans l'arbre et criait «Bravo» avec les autres.

– Mais ce n'est pas du tout un conte, dit le petit garcon qui ecoutait.

– Tu dois t'y connaitre, dit celui qui racontait. Demandons un peu a notre fee.

Ce n'etait pas un conte, dit-elle, mais il va venir maintenant. De la realite nait le plus merveilleux des contes, sans quoi mon delicieux buisson ne serait pas jailli de la theiere.

Elle prit le petit garcon dans ses bras contre sa poitrine. La verdure et les fleurs les enveloppant formaient autour d'eux une tonnelle qui s'envola avec eux a travers l'espace. Voyage delicieux. La fee etait devenue subitement une petite fille, en robe verte et blanche avec une grande fleur de sureau sur la poitrine, et sur ses blonds cheveux boucles, une couronne. Ses yeux etaient si grands, si bleus! Quel plaisir de la regarder! Les deux enfants s'embrasserent, ils avaient le meme age et les memes gouts.

La main dans la main, ils sortirent de la tonnelle et les voici dans leur jardin fleuri. Sur le frais gazon de la pelouse, la canne du pere etait restee; simple bois sec, elle etait vivante pour les petits. Sitot qu'ils l'enfourcherent, le pommeau poli se transforma en une belle tete hennissante, la noire criniere voltigeait. Quatre pattes a la fois fines et fortes lui pousserent, l'animal etait robuste et fougueux. Au galop, ils tournaient autour de la pelouse. Hue! Hue!

Nous voila partis, dit le petit garcon, a des lieues de chez nous, nous allons jusqu'au chateau ou nous etions l'an passe. Et ils tournaient et tournaient autour de la pelouse, la petite fille, qui n'etait autre que la fee, s'ecriait:

– Nous voici dans la campagne, vois-tu la maison du paysan avec le grand four qui a l'air d'un immense oeuf sur le mur du cote de la route, le sureau etend ses branches au-dessus et le coq gratte la terre pour les poules et se rengorge! Nous voici a l'eglise, elle est tout en haut de la cote, au milieu des grands chenes dont l'un est presque mort. Et nous voici a la forge ou brule un grand feu, ou des hommes a moitie nus tapent de leurs marteaux, faisant voler les etincelles de tous cotes. En route, en route vers le beau chateau!

Tout ce dont parlait la petite fille assise derriere, sur la canne, se deroulait devant eux; le garcon le voyait, et cependant ils ne tournaient qu'autour de la pelouse.

Ensuite ils jouerent dans l'allee et dessinerent un jardin sur le sol; la petite fille enleva une fleur de sureau de sa tete et la planta. Et cette fleur poussa exactement comme cela s'etait passe devant nos deux vieux de Nyboder, quand ils etaient Petits-comme nous l'avons raconte tout a l'heure.

Ils marcherent la main dans la main, comme les vieux etant enfants, mais ils ne monterent pas sur la Tour Ronde et ne visiterent pas le jardin de Frederiksberg, non, la petite fille tenait le garcon par la taille et ils volaient a travers le Danemark.

Le printemps se deroula, puis l'ete, et l'automne et l'hiver; mille images se refletaient dans les yeux du garcon et, dans son coeur, toujours la petite fille chantait: «Tu n'oublieras jamais tout ca!» Le sureau, tout au long du voyage embaumait si exquisement. Le garcon sentait bien les roses et la fraicheur des hetres, mais le parfum du sureau etait bien plus ensorcelant car ses fleurs reposaient sur le coeur de la petite fille et dans la course la tete du garcon se tournait souvent vers elle.

– Comme c'est beau, ici, au printemps, dit la petite fille, tandis qu'ils passaient dans la foret de hetres aux bourgeons nouvellement eclos; le muguet embaumait a leurs pieds et les anemones roses faisaient bel effet sur l'herbe verte. Ah! si c'etait toujours le printemps dans l'odorante foret de hetres danoise.

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